Immigration/Racisme

Immigration/Racisme : L'UE face à la question migratoire, Les droites dures à la manoeuvre

Nous nous sommes entretenus avec Christakis Georgiou, chercheur en études européennes à l’Université de Genève.

La mise en place du nouveau gouvernement italien et le conflit qui oppose la CDU à la CSU bavaroise et fragilise Angela Merkel en Allemagne semblent plonger l’Union Européenne encore plus dans une crise dont elle peine à sortir. Comment analyses-tu la situation?

Il y a deux temporalités qui se croisent dans cette crise. Il y a d’abord la réapparition de l’extrême droite européenne qui remonte aux années quatre-vingt et qui n’est donc pas un phénomène récent qui découlerait de la crise économique et financière. Les raisons de cette réapparition sont multiples, mais il y a une constante: le fonds de commerce de cette extrême droite est le conservatisme culturel et l’opposition au libéralisme politique et cela s’exprime le plus clairement sur la question des migrations.

Les percées de l’extrême droite s’expliquent en partie par le vide que crée le recentrage de la droite classique sur ces questions. L’exemple qui illustre le mieux cela – et qui m’amène à la deuxième temporalité, à savoir la crise récente des réfugié·e·s – est l’émergence fulgurante de l’AfD en Allemagne depuis 2015. L’AfD avait été créé en 2013 par des économistes conservateurs eurosceptiques, qui estimaient que Merkel avait été trop généreuse dans la gestion de la crise de la zone euro. Mais le parti n’a connu son ascension électorale qu’après 2015, lorsque Merkel a répondu à l’afflux de réfugié·e·s syriens par une politique d’accueil qui a vu un million de réfugié·e·s s’installer en Allemagne. Cela a horripilé la base conservatrice de son parti, bien plus que sa politique sur la question de la zone euro.

Depuis, cette base est en révolte ouverte, et cela se traduit par la percée de l’AfD, l’organisation d’une opposition conservatrice interne à la CDU menée par Jens Spahn (actuellement ministre de la santé) et la posture dure de la CSU. La même dynamique est à l’œuvre dans le cas du Front National français et dans le cas de la Lega en Italie mais aussi au Royaume-Uni, où ce qui a réellement fait la différence lors du référendum de 2016 était la question migratoire.

Le Conseil européen des 28 et 29 juin était présenté comme le moment où toutes les tensions dans l’Union européenne sur la question migratoire allaient exploser. Comment juges-tu les mesures prises?

Il faut bien comprendre que la nature de ces sommets entre chefs d’État et de gouvernement conduit les un·e·s et les autres à sur-­dramatiser les enjeux, prétendre jouer la rupture, poser leur veto etc. – bref, faire du cinéma – pour, finalement, aller présenter devant leur opinion publique respective les résultats comme une victoire qu’ils auraient arrachée grâce à leur courage politique, même si les décisions prises sont toujours des compromis et constituent rarement des ruptures avec les politiques menées jusque-là.

En réalité, la réponse durable qui a été apportée par les dirigeant·e·s européens à l’afflux de réfugié·e·s est déjà à l’œuvre depuis plusieurs années et l’accord avec la Turquie: l’UE paie ses pays limitrophes pour qu’ils accueillent eux-mêmes les migrant·e·s et les réfugié·e·s. Le Conseil européen du 28 juin a donc souligné – avec un grand cynisme – que depuis 2015, le flux de l’immigration illégale – les personnes qui arrivent sur le territoire de l’UE sans visa – avait diminué de 96%. Et le nombre de demandes d’asile enregistrées est aussi passé d’environ 1300000 en 2015 à moins de 600000 en 2018.

Le Conseil européen du 28 juin a ajouté à cela la création de «centres de transit» – en réalité des centres de détention – sur le territoire de l’Union et des États limitrophes, dans lesquels on triera les migrant·e·s entre ceux et celles qui peuvent faire une demande d’asile et ceux est celles qui ne seraient que des migrant·e·s économiques et qui seront renvoyés d’où ils et elles viennent.

La mesure durcit donc la politique poursuivie jusque-là sans en changer la substance, puisque pour satisfaire les électeurs·trices conservateurs européens, on privera de liberté les migrant·e·s qu’on ne peut empêcher de rejoindre les côtes européennes. C’est une dynamique de surenchère qui ne sera inversée que le jour où un puissant mouvement de solidarité avec les migrant·e·s et les réfugié·e·s fera reculer les conservateurs et l’extrême droite.

C’est utile de noter comment l’extrême droite et la droite dure (qui ont la même attitude sur la question migratoire) se divisent à ce propos en fonction de la position géographique des pays. La Lega de Salvini ne défend, au fond, que la position que défendent tous les gouvernements italiens depuis 2015, à savoir la fin du principe de Dublin qui veut que les réfugié·e·s demandent l’asile dans le premier pays d’accueil alors que la droite allemande défend ce principe, tout comme Orban en Hongrie ou le gouvernement autrichien.

De son côté, Merkel a cherché à conclure des accords bilatéraux avec les pays méditerranéens pour leur renvoyer les demandeurs·euses d’asile qui arriveraient à ses frontières après avoir fait une demande dans ces pays. C’est sur cette question que la CSU a choisi de défier Merkel. Les mesures décidées lors du Conseil européen ne règlent pas le problème de Merkel, qui a trouvé quelques jours après un compromis avec la CSU qui préserve, pour l’instant, la grande coalition et l’alliance CDU-CSU. Il s’agit pour l’Allemagne de créer ses propres centres de transit à sa frontière méridionale. La complication est que le SPD s’y oppose. Au moment de cet entretien, la grande inconnue était la réaction du SPD à l’accord CDU-CSU et donc l’avenir de la grande coalition.

Propos recueillis par notre rédaction