Construire un rapport de force politique et syndical

Le Conseil fédéral veut abandonner les déjà faibles mesures de protection des conditions de travail pour négocier un accord qui encadre l’ensemble des accords bilatéraux avec l’Union européenne. L’Union syndicale suisse (USS) réagit en claquant la porte. Entretien avec Alessandro Pelizzari, secrétaire régional Unia

Mesures d'accompagnement

Quels sont les éléments clés pour les travailleuses et les travailleurs dans ces négociations?

Le mouvement syndical suisse a majoritairement soutenu le principe d’une libre circulation, couplé au renforcement de la protection des conditions de travail en Suisse. Cette position a permis à une partie du patronat suisse de gagner les majorités populaires nécessaires pour lui garantir l’accès aux marchés européens. En contrepartie, les syndicats ont obtenu la mise en place d’un dispositif de contrôle salarial.

Aujourd’hui, ces mesures, aussi limitées soient-elles, sont doublement sous pression: par l’UDC, qui a montré sans ambigüité son vrai visage propatronal en tirant à boulets rouges contre toute mesure de protection salariale et contre les syndicats, et par la Commission européenne qui conditionne toute conclusion d’un accord à l’assouplissement des protections salariales.

En réalité, la fameuse règle des huit jours d’annonce pour les travailleurs·euses détaché·e·s n’est qu’un prétexte. Il s’agit d’empêcher toute protection salariale qui serait plus contraignante que le credo néolibéral dominant. Une partie du patronat suisse, représentée par le PLR au Conseil fédéral, a ainsi saisi l’opportunité pour tenter de s’en débarrasser.

Comment améliorer la situation des travailleuses et des travailleurs?

L’impact de la libre circulation des personnes sur le marché du travail suisse a été important. Le nombre de frontaliers·ères et celui de travailleurs·euses titulaires d’une autorisation de courte durée ont plus que doublé depuis 2004. En y ajoutant le nombre de travailleurs·euses détaché·e·s, ces catégories de migrant·e·s de courte durée représentent aujourd’hui le 16% des personnes en activité. En nombre absolu, il y a aujourd’hui plus de personnes travaillant temporairement sur sol suisse qu’il n’y a eu de saisonniers·ères dans le passé au niveau le plus élevé.

Face à cette précarisation, les mesures d’accompagnement ont rapidement montré leur inadéquation. Avec un nombre d’inspecteurs et d’inspectrices largement insuffisant, le taux d’infractions est en augmentation constante, tandis que le nombre d’entreprises contrôlées et de sanctions prononcées reste ridiculement bas. Il n’est dès lors pas surprenant que pour une partie des salarié·e·s, la « libre » circulation des personnes est devenue synonyme de liberté pour les employeurs d’embaucher moins cher. L’acceptation de l’initiative « Contre l’immigration de masse » en est la preuve. Les syndicats ne gagneront cette bataille que s’ils obtiennent à terme un salaire minimum décent dans toute la Suisse, une augmentation massive des contrôles, un durcissement des sanctions contre les abus patronaux, un renforcement de la protection contre les licenciements et une limitation du travail temporaire.

Quel regard porter sur une Union syndicale suisse qui ne nous avait pas habitué à des prises de position aussi tranchées?

Entre les annonces du président de l’Union patronale suisse de préférer négocier avec l’UDC plutôt qu’avec les syndicats et l’attitude du Conseil fédéral dans le dossier sur l’accord institutionnel avec l’UE, on ne peut que saluer la prise de position sans ambiguïté de l’USS. Mais il est aussi vrai qu’elle a agi à partir du positionnement extrêmement défensif dans lequel les syndicats suisses se trouvent. Cette position vient notamment du fait que l’USS s’est accommodée du principe de « préférence nationale » introduit après l’acceptation de l’initiative UDC en 2014. Or, ce principe n’a absolument pas la vocation de lutter contre le chômage ou la sous–enchère salariale ; Il augmentera la pression sur les personnes au chômage et attisera les divisions entre salarié·e·s.

Comment les syndicats peuvent-ils répondre aux travailleuses et travailleurs en Suisse qui remettent en question l’efficacité des mesures d’accompagnement?

Dans le contexte politique actuel, il est de plus en plus illusoire de penser que les syndicats obtiennent des mesures d’accompagnement renforcées sans la construction d’un rapport de force politique et syndical. Il est urgent de passer à l’offensive, d’ancrer la politique syndicale dans une pratique quotidienne d’un syndicalisme de terrain et de lutte. Cela suppose une ligne de confrontation frontale tant avec les forces xénophobes qu’avec un patronat habitué à tirer profit de la mise en concurrence transfrontalière et de moins en moins enclin à accorder le moindre acquis social aux salarié·e·s. Sans ça, les syndicats seront relégués à un rôle de partenaire subordonné aux intérêts du patronat lié à l’industrie d’exportation et à la place boursière, faisant le lit des forces d’extrême-droite