Printemps de Prague
Printemps de Prague : Un jalon de la lutte pour le socialisme auto-gestionnaire
Le 20 août 68 au soir, des commandos « soviétiques » débarqués d’un avion civil prenaient le contrôle de l’aéroport de Prague, permettant à un chapelet d’Antonov A-12 de débarquer une division aéroportée…
Cette division prendra le contrôle physique de la capitale et sera rejointe par voie terrestre par au final près d’un demi-million de soldats, des milliers de blindés, des centaines d’avions, dans le cadre d’un coup de force impérialiste spectaculaire.
Ainsi, moins de 30 ans après les blindés d’Hitler venus annexer la Bohême-Moravie au Reich et instituer un État slovaque fantoche, les chars de la superpuissance « soviétique » violant le droit des peuples et la souveraineté nationale tchécoslovaque, venaient salir le souvenir de l’accueil fraternel de l’armée rouge en 1945 à Prague par les insurgés antinazis.
Contre le socialisme et la démocratie, l’invasion
Les blindés de Brejnev sont venus à Prague il y a juste 50 ans pour juguler non une « restauration du capitalisme », comme on l’a vu après 1989, mais pour éteindre le brasier d’un mouvement de masse démocratique et populaire en faveur d’un socialisme autogestionnaire « par en bas » dont le pays prenait le chemin.
Cet ancrage possible d’un réel « socialisme réel » dans un pays industriel avancé d’Europe centrale aurait été une immense victoire prolétarienne et populaire, et devrait rester, pour nous aujourd’hui, une référence. Ce n’est pas un hasard si la mémoire de ce 68-là est de plus en plus occultée dans les médias.
On efface notamment le fait que l’intervention des tanks russes a catalysé une riposte majeure des travailleurs·euses, impulsée par l’aile autogestionnaire du PC et le syndicat officiel: l’explosion de conseils ouvriers. Leur première réunion nationale fut convoquée en janvier 1969 soit près de six mois après le début de l’occupation.
Dans l’usine Skoda de Plzen, les délégué·e·s de 182 usines représentant 890 000 salarié·e·s se réunissent et élaborent un projet de « loi sur l’entreprise socialiste » présenté au gouvernement encore présidé par DubÄÂÂek. En mars, le congrès des syndicats réclame la légalisation des conseils ouvriers. La force et la légitimité de ceux-ci étaient telles qu’il n’a pas été possible de simplement les réprimer. Le mouvement s’étendra encore: en mars, on était passé à plus de 500 conseils ouvriers. Ils furent lentement étouffés, puis interdits en juillet 1970 seulement, deux ans après l’invasion, sous un régime dit « normalisé ».
De quel côté étaient les soviets?
En 2010 paraissait à Moscou un recueil: La crise tchécoslovaque 1967–1970 dans les documents du CC du PCUS. On y apprend que le 25 février 1969, le BP soviétique, via son ambassadeur, exigeait de la direction tchécoslovaque de reporter le vote imminent de la loi sur l’entreprise légalisant les conseils d’entreprise.
Le message dénonce l’autonomie syndicale et la ligne autogestionnaire de la centrale syndicale tchécoslovaque (ROH). Le 5 mars, Moscou intervient encore envers DubÄÂÂek et la direction du PCT pour s’opposer au projet de loi. Ils craignent tant une « déviation yougoslave » qu’ils envoient une « information » aux chefs des pays satellites affirmant que la légalisation et la généralisation de « conseils d’entreprise ou de soviets de travailleurs » (sic) et « leurs droits énormes en matière de gestion priveraient le PCT de son rôle dirigeant dans l’économie de la société ». Ainsi, ce projet « menace les fondements de l’économie socialiste », conduisant à « imposer la propriété de groupe », réduisant a minima le rôle de l’État dans la direction de l’économie.
Le message dénonce le manque de contrôle du PCT sur les syndicats et organisations de masse, « surtout sur les organisations de jeunesse », ce qui, d’après Moscou, conduit à cette loi « antisocialiste » à combattre « avant le congrès [alors imminent] des syndicats ». Elle affirme que c’est le « danger de gauche qui est le danger principal dans les réunions, en particulier celles des associations professionnelles des intellectuels, dans les congrès de branche des syndicats et dans les médias.»
Et la suspension sine die de la discussion du projet de loi sur l’entreprise sera une des premières mesures du gouvernement fantoche tchèque d’après la chute de DubÄÂÂek le 17 avril. Le rejet absolu des conseils de travailleurs est ainsi une des pièces centrales du modèle de prétendu socialisme dont les Tchécoslovaques ont voulu se libérer en 1968–1969 et qui leur a été réimposé de force, par une opération discréditant l’idée du socialisme.