Antispécisme - Anticapitalisme - Une lutte commune?

Une lutte commune?

Le 25 août, 600 personnes se sont rassemblées à Genève lors de la Journée mondiale pour la fin du spécisme (la discrimination fondée sur l’appartenance d’espèce), organisée par l’association Pour l’égalité animale (PEA). Interview de Pia Shazar, porte-parole de PEA.

Nous poursuivons ici une discussion entamée dans les numéros 291 et 293 de notre journal. Le débat continue.


Manif antispéciste, Genève

«Ni dans les labos, ni dans les frigos». Tout être sentient [qui a des perceptions, des émotions et une volonté propre] doit bénéficier de droits fondamentaux: ne pas être exploité ou tué sans nécessité. Radicalisme ou révolution?

S’opposer à l’exploitation animale, c’est exiger que les animaux ne soient pas tués. C’est mettre fin à l’élevage ; ce n’est pas une révolution d’un soir. Il ne s’agit pas d’un mode de consommation individuel, mais d’une question politique qui, comme n’importe quelle lutte, a un impact sur nos vies. Ce combat touche à l’organisation de la société. Pour des mouvements de gauche, il est important de se poser la question de l’extermination dont sont victimes des milliards d’animaux chaque année (77 millions en Suisse pour notre consommation). Aucune exploitation n’est bonne, ni pour les humains, ni pour les animaux.

La revendication politique du refus de l’exploitation animale en dénonçant l’industrialisation capitaliste ne fédère pas, même au sein de la gauche anticapitaliste. «Un jour viendra où la culture de la violence sera défaite». Racisme, sexisme, spécisme, mêmes mécanismes?

Il y a des mécanismes similaires vu que tout repose sur la stigmatisation et l’exploitation d’individus dans le sens où l’on s’approprie des corps que l’on exploite, et que l’on enferme des individus dans une catégorie définie comme autre, que l’on met en place une organisation de la société qui fait tenir cet ordre discriminatoire pour justifier l’exploitation. À mesure que notre mouvement s’agrandit, certain·e·s oublient les critiques fondamentales de la lutte. Mais on doit créer des liens avec les autres organisations qui se battent pour l’égalité et l’émancipation afin de ne pas se perdre dans quelque chose de plus en plus dépolitisé.

Du point de vue de l’émancipation, de l’égalité et de la lutte contre l’exploitation ce combat s’ancre à gauche. La solidarité avec les autres luttes est nécessaire. Cependant, on ne peut se reposer uniquement sur ces soutiens. Les milieux minoritaires devraient penser à des réflexions communes, notamment stratégiques, pour démanteler les oppressions. Établir, comme les antinucléaires, un plan pour sortir de l’élevage dans 20–50 ans en pensant aux conséquences économiques sur le secteur agricole.

L’abolition du spécisme passera inéluctablement par des changements législatifs. Comment rallier les politiques?

Les politiques et les institutions doivent reconnaître qu’il y a une vraie mobilisation populaire, que le mouvement antispéciste a maintenant une force de frappe incontournable qu’on ne peut plus ignorer. On est 850 à PEA en Suisse romande et 9000 à la LSCV au niveau national. Même si ils·elles ne peuvent abolir le spécisme, les politiques et les institutions peuvent accompagner des démarches telles que l’initiative populaire sur la sentience, celle sur l’élevage intensif, ou lutter contre les lobbies dans les écoles.

Propos recueillis pour solidaritéS par Marjo


Opinion

Quelle «égalité» veut-on?

Une manif antispéciste a été initiée par un mouvement Pour l’égalité animale. L’égalité est une valeur et une aspiration essentielle: qui d’entre nous ne vibre pas à la lecture des hauts faits du «communiste» Gracchus Babeuf et du projet de décret de sa «Conjuration des Égaux»? Mais l’égalité n’est pas un droit passif ou un slogan abstrait. Elle exige une démocratie radicale et une participation de chacun·e aux débats et luttes pour un monde nouveau et pour abattre le capitalisme, source de crimes inouïs contre les humain·e·s et contre la nature.

Quels que soient le respect et l’amitié à avoir pour les animaux, l’égalité prétendue avec eux est un repoussoir absurde. On peut et l’on doit débattre et lutter au coude à coude avec les humain·e·s victimes du racisme et/ou du sexisme, cités par les antispécistes comme ayant des causes analogue à celles qu’ils·elles défendent, pas avec les animaux. L’antispécisme est un «substitutisme» absolu qui dévalorise tant l’égalité que la démocratie. Et il peine à remettre en cause le système, affirmant un moralisme individualiste problématique. Peter Singer, auteur du livre Animal Liberation et l’un des fondateurs de ce courant de pensée a dit:

«Le capitalisme produit les biens que le consommateur désire. Ce n’est pas à lui que nous devons imputer la souffrance animale, mais bien à nous autres consommateurs. Il faut changer nos manières de consommer.»

Le capitalisme est ainsi vu comme système de démocratie consumériste au-dessus des classes, que chacun·e pourrait/devrait piloter comme client-consommateur. Un point de vue néolibéral, non? Les luttes indispensables contre l’agrobusiness, contre la surconsommation de viande, contre la souffrance animale, méritent mieux que le brouet idéologique dit «antispéciste».

Pierre Vanek