Gilets jaunes

Gilets jaunes : «Faire alliance à égalité, avec nos spécificités»

Le 26 novembre, le comité Vérité et Justice pour Adama Traoré appelait à rejoindre les Gilets jaunes. Il a pu y joindre des revendications des habitant·e·s des quartiers populaires, pour qui la question sociale est indissociable du racisme. Entretien avec Youcef Brakni, membre du comité.

Peux-tu te présenter ainsi que le comité?

Je m’appelle Youcef Brakni. Je suis membre du comité Vérité et Justice pour Adama Traoré, qui s’est créé après la mort d’Adama Traoré, un jeune noir, citoyen français, tué par la gendarmerie en 2016. On a fondé un comité qui rassemble d’anciens membres du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) et des militant·e·s plus jeunes des quartiers populaires d’Île-de-France. C’est l’idée d’une organisation locale avant tout: partir de l’auto-organisation des habitant·e·s des quartiers et, à partir de cette force, s’élargir à tous les niveaux, à l’échelle nationale et même internationale.

Mais c’est aussi un travail plus global, sur la question du racisme systémique, la question postcoloniale, la question du traitement des habitant·e·s de quartiers populaires, noir·e·s et arabes. Ce sont ces questions que porte le comité, avec bien entendu celle de rendre justice à Adama.

Pourquoi avoir décidé de rejoindre les Gilets jaunes?

Au départ, on a observé ça avec distance. On a d’abord vu les problèmes de racisme, de négrophobie, d’islamophobie et d’homophobie, qui ont été largement médiatisés. Ça a fait un peu peur évidemment, mais on s’est dit qu’il fallait regarder ça de plus près. En fait, c’est la France abandonnée. C’est la France périphérique, un peu comme celle qu’on peut trouver dans les quartiers populaires. Et cette France s’est levée avant tout pour la justice sociale.

La question des taxes nous parle aussi, nous qui habitons les quartiers populaires. On est confronté·e·s à la question de la mobilité, avec ce que Fatima Ouassak appelle « l’assignation à résidence ». Dans les quartiers populaires, tout est fait pour nous entraver, avec des stratégies urbaines pour nous empêcher de circuler librement. En bref, on se retrouve dans toutes les problématiques portées par les Gilets jaunes: la question des familles monoparentales, des femmes isolées qui n’arrivent pas à s’en sortir, la question de l’exploitation, de ne pas pouvoir vivre de son travail.

On a donc investi le mouvement parce qu’il nous concerne et avec l’idée de ne pas laisser le terrain à l’extrême droite, en posant nos questions et revendications spécifiques: le racisme, la persistance du fait colonial, notamment dans la gestion des quartiers populaires. Pour dénoncer tout ça, il ne faut pas rester passif: il faut construire des alliances avec le mouvement social et la gauche de façon large.

Quel bilan tires-tu de ces mobilisations?

Il est encore trop tôt pour faire un bilan général. En ce qui nous concerne, on a laissé un précédent historique: on était là! Et je pense qu’on a ouvert la voie, on a montré comment il fallait s’y prendre: ne pas rester spectateur·trice, ne pas tomber dans la théorie théoricienne et abstraite. Être concrètement dans la lutte, s’y confronter. C’est pas facile, ça peut mener à l’échec. Mais la victoire, on la voit: les quartiers populaires et nos revendications ont pu exister, on a pu être sur le devant de la scène et exister politiquement, comme dirait [Abdelmalek] Sayad.

Lors d’une conférence sur le monde rural et les quartiers populaires, tu as déclaré que « La gauche, c’est nous en vrai. C’est personne d’autre! » Est-ce que tu peux développer?

On a préparé cette conférence il y a trois mois avec Édouard Louis, un ami et soutien indéfectible du comité. J’avais pensé à ce thème en lisant son livre Qui a tué mon père, dans lequel j’ai trouvé beaucoup de similitudes avec les parents de l’immigration. Ça a été un déclic, je me suis dit: « Il faut faire comme le MIB dans le Larzac » [voir l’intervention de Tarek Kawtari au Larzac sur Youtube]. C’est important d’aller dans ces zones reculées et abandonnées, parce qu’on est pour la justice et on la veut pour tout le monde! Quand je vois des ouvriers pleurer devant leur usine qui ferme, ça me touche. Et d’autant plus que nos parents ont participé à la construction de la puissance économique de la France, malheureusement contre nos pays d’origine.

Alors la gauche, on la laisse à personne! La gauche, c’est le progrès social, le progrès de l’humanité, contre toute forme de domination, contre le capitalisme, contre le sexisme. Un mouvement global pour la justice. Et qui incarne mieux toutes ces notions que nos luttes dans les quartiers populaires?

C’est aussi une manière d’interpeler: les années où l’état d’urgence était appliqué dans nos quartiers, lorsque les assignations à résidence pleuvaient contre nous, vous avez regardé ailleurs. Or ces méthodes de répression, qui étaient réservées aux populations postcoloniales, sont désormais appliquées plus largement, par exemple à Notre-Dame-des-Landes. C’est nous la gauche, c’est nous la justice, tout simplement!

Propos recueillis pour solidaritéS par Anouk Essyad
La version complète de cet entretien est disponible ici.