La sous-traitance, une concurrence maltraitante

Depuis la mi-janvier, le personnel d’une entreprise de nettoyage à Genève est en grève. Malgré une impressionnante solidarité avec et entre les licencié·e·s, l’entreprise n’entre pour l’instant pas en matière.

Dans les beaux quartiers de Genève, les bureaux de l’Union bancaire privée (UBP SA) étaient nettoyés par Orgapropre SA depuis près de 20 ans. Mais en novembre, les rumeurs qui circulent se confirment: l’entreprise de nettoyage a perdu son mandat et 37 nettoyeurs·euses sont licencié·e·s.

Si plus de la moitié des em-ployé·e·s a pu trouver une solution, le sort des autres reste incertain. Le 16 janvier, lors de son assemblée générale, le personnel a décidé d’entrer en grève. Leurs revendications: la réembauche du personnel licencié, directement par UBP s’il le faut, et sinon la mise en place d’un véritable plan social.

Des employé·e·s empêché·e·s de trouver du travail

Dans le secteur du nettoyage, lorsqu’un mandat est attribué à une autre entreprise, il est d’usage que le nouveau sous-traitant garde l’ensemble du personnel. Mais le patron d’Orgapropre (pourtant représentant du «partenariat social» au sein des commissions paritaires régionales) semble déterminé à mettre des bâtons dans les roues aux repreneurs. Il n’hésite pas à sacrifier le personnel en les empêchant de travailler ailleurs. En effet, peu de temps avant l’annonce des licenciements aux employé·e·s, Orgapropre leur avait fait signer un nouveau contrat contenant une clause qui leur interdisait pendant deux ans de travailler pour les concurrents, sous peine d’une amende de 30 000 CHF.

C’est cette clause abusive qui a amené les premières employées au syndicat SIT. Depuis, elles se mobilisent collectivement, malgré les pressions des cadres qui tentent de casser le mouvement. Pour tou·te·s, c’est leur première lutte. Leur solidarité et leur courage sont exemplaires.

Un mouvement solidaire avec les femmes et les plus âgé·e·s

Les licenciements d’Orgapropre disent beaucoup du secteur du nettoyage, fortement marqué par la division genrée du travail et soumis à la pression de la sous-traitance. Sur les 37 personnes licenciées, 35 sont des femmes. Comme ailleurs, elles composent la majorité des petits temps partiels, payés CHF 19.60 brut de l’heure. Un revenu très bas, que les travailleuses complètent souvent avec d’autres petits jobs, courant ainsi d’un bout à l’autre de la ville. Les temps pleins, qui sont généralement des postes techniques ou de cadre, donc mieux payés, sont majoritairement occupés par des hommes. Leurs conditions de travail ne sont pas pour autant confortables, mais cette différence montre que les plus précaires, même dans les métiers les plus durs, restent les femmes.

À cet aspect s’ajoute la discrimination des travailleurs·euses âgé·e·s: sur les 37 licencié·e·s, seul·e·s les plus jeunes ont été réembauché·e·s par le nouveau sous-traitant, qui n’est pas prêt à payer des cotisations plus élevées. Face à cette double discrimination, les employé·e·s ont choisi la solidarité: hommes et femmes, plus jeunes ou seniors, reclassé·e·s ou non.

La situation du personnel d’Orgapropre est par ailleurs emblématique du développement de la sous-traitance sur le marché de l’emploi. Hormis le fait de pouvoir confier une activité précise à une entreprise spécialisée, la sous-traitance constitue un modèle économique de réduction des coûts et de déresponsabilisation de l’employeur. Payer une boîte au lieu de salarier du personnel est intéressant financièrement.

Premièrement, cela permet d’exclure des employé·e·s d’une Convention collective ou d’un règlement interne qui prévoiraient de meilleures conditions que la Convention du nettoyage. Cette stratégie est en hausse dans les secteurs publics, comme les blanchisseries des EMS ou les restaurants des hôpitaux. Deuxièmement, la mise en concurrence des entreprises de nettoyage entre elles permet de choisir l’offre la moins coûteuse. Pour être attractifs, les sous-traitants rationalisent alors à outrance l’organisation du travail, mettant les employé·e·s sous pression, en les rémunérant le moins possible. Finalement, le client se décharge de ses responsabilités vis-à-vis de ses travailleurs·euses: il n’a à se préoccuper ni de les assurer, ni de préserver leur santé. Car si la protection de la santé est une obligation légale de l’employeur, le droit reste flou quant à la responsabilité que l’entreprise cliente a vis-à-vis du personnel travaillant dans ses locaux. Ainsi, ce n’est pas un hasard de voir les métiers les plus pénibles sortis de l’entreprise.

Dans cette optique «tout bénéf» pour l’entreprise cliente, le personnel licencié d’Orgapropre a bien raison de revendiquer d’être embauché directement par UBP. Pour une société qui vient d’annoncer un bénéfice net de CHF 220,4 millions, la moindre des choses serait de s’intéresser au sort de personnes qui entretiennent dans l’ombre leurs prestigieux locaux, depuis plus de 15 ans pour certaines.

Mila Morena