Lutter pour un monde plus juste

A l’invitation de solidaritéS, Eleni Varikas et Michael Löwy sont venus à Lausanne et Genève pour nous parler de Rosa Luxembourg et de l’écosocialisme comme alternative face à l’urgence climatique et sociale. Nous avons interviewé Michael Löwy.


Marche pour le climat, Lausanne, 2 février 2019 – Jules Gogniat

Tu viens de publier un livre sur Rosa Luxembourg*. Que peut apporter cette dernière à la jeunesse d’aujourd’hui qui se mobilise pour le climat?

Beaucoup. Je pense que Rosa Luxemburg est une constellation lumineuse très méconnue dans le panthéon marxiste et que ses écrits restent dans sa majorité d’une singulière actualité dans la perspective de refondation d’une espérance émancipatrice. La mobilisation des jeunes rejoint son concept de «socialisme ou barbarie» qui implique la perception de l’histoire comme processus ouvert, comme une série de «bifurcations» où le «facteur subjectif» – conscience, organisation, initiative – des opprimé·e·s devient décisif.

Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard. Soit nous construisons une alternative à la crise systémique capitaliste en marche, soit nous allons vers la barbarie. Aujourd’hui, nous devons intégrer dans ce concept le risque de catastrophe écologique résultant de l’expansion capitaliste mondiale, avec sa logique destructrice de l’environnement. Si le socialisme ne vient pas interrompre cette course vertigineuse vers l’abîme – dont la montée de la température de la planète est le signe le plus visible – c’est la survie même de l’espèce humaine qui est menacée. Les mobilisations de la jeunesse pour le climat mettent objectivement au centre du débat la nécessité d’une alternative au système.

Que t’inspirent toutes les mobilisations des jeunes pour le climat?

Les jeunes, avec leurs mobilisations et grèves pour le climat, ont compris que les impacts terribles du changement climatique sont perceptibles ici et maintenant: ils ne toucheront pas seulement les générations futures, mais les jeunes d’aujourd’hui. Cette prise de conscience a permis l’émergence de ce mouvement international.

C’est tellement salutaire de voir ces mobilisations bousculer les classes dominantes. Une génération très jeune est en train de prendre son destin en main. Elle fait des expériences politiques nouvelles, prend conscience de la force du collectif et de la nécessité de la mobilisation collective pour changer les lignes. Il y a un processus d’auto-organisation et une manière de fonctionner qui, malgré ses limites, sont les plus démocratiques possibles. Ce sont des expériences individuelles et collectives précieuses, qui peuvent être les graines d’un nouveau projet de société, que j’appelle éco-socialisme.

Pourquoi l’écosocialisme peut être une alternative réelle pour tou·te·s ces jeunes?

La question de l’alternative à ce système est posée dans les revendications des jeunes, quand elles et ils disent que pour atteindre leurs objectifs comme la neutralité carbone ou la justice climatique, il est nécessaire de changer de système. Dans le cadre de la société capitaliste, il n’y a pas de solution à la crise climatique.

L’écosocialisme est un projet alternatif au capitalisme et au productivisme. C’est un courant politique fondé sur une idée essentielle: la préservation de l’équilibre écologique de la planète et donc d’un environnement favorable aux espèces vivantes – y compris la nôtre – est incompatible avec la logique expansive et destructrice du système capitaliste.

Face à cette urgence climatique, le mot d’ordre «changeons le système pas le climat» est d’une actualité brûlante. Ce changement implique une transformation de l’appareil productif, mais aussi du mode de consommation, des transports, de l’énergie, du type d’agriculture, etc.

Dans le projet écosocialiste, une planification démocratique est nécessaire, mais elle doit être basée sur l’autogestion à tous les niveaux. Les gens doivent gérer leurs affaires aux échelles locale, nationale et ensuite continentale.

L’idée fondamentale de l’éco-socialisme, c’est que la démocratie ne doit pas se limiter à la sphère administrative politique mais s’étendre au terrain économique. Les grandes décisions sur la production ou les modes de consommation appartiennent aux gens eux-mêmes et non aux banquiers·ères, aux capitalistes ou aux marchés. La démocratie est le seul chemin pour une rationalité sociale et écologique. L’écosocialisme est un projet ouvert qui intègre des aspects de la décroissance et de l’écologie sociale. Il n’y aura pas au 21e siècle de projet émancipateur sans intégration de la dimension écologique.

Propos recueillis par Juan Tortosa

* Édition Le Temps des Cerises, 2019