Protéger les salaires, pas les frontières!

La Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) vient de publier un appel contre l’accord-cadre institutionnel avec l’Europe. Alessandro Pelizzari, secrétaire régional d’Unia à Genève, explique la démarche.

Pourquoi la CGAS lance-t-elle cet appel?

Le débat est totalement biaisé. D’un côté, la droite libérale et economiesuisse, suivis par le gros des médias et des forces social-libérales, ont déclenché une virulente campagne contre les syndicats ayant osé s’opposer à l’accord-cadre. On nous accuse de mise en péril des accords bilatéraux (en réalité: l’accès boursier des banques suisses) et, pire, de jouer le jeu de l’UDC. De l’autre, silence radio absolu des mêmes sur l’initiative UDC contre la libre circulation des personnes soumise au vote l’an prochain. Or, les deux choses sont liées.

Avec notre appel, nous disons que l’enjeu véritable autour de l’accord–cadre n’oppose pas «la fermeture» à «l’ouverture» mais des intérêts de classes. Il contient une attaque sans précédent contre la protection des salaires, notamment par le démantèlement des réglementations de contrôle et de sanction d’entreprises détachant du personnel en Suisse. Il remet ainsi en cause les droits de quelques 250 000 travailleurs·euses aux permis de courte durée, avec un impact évident sur leur niveau salarial et celui de centaines de milliers de salarié·e·s dans les mêmes branches à haute concurrence.

Et il soumet les mesures d’accompagnement et le système des CCT à la Cour de justice européenne, qui vient de contraindre l’Autriche à réduire la portée de ses contrôles d’entreprises. Ces effets voulus mèneront à une baisse du coût de la main d’œuvre en Suisse. Par les employeurs détachant du personnel en Suisse d’abord, qui ont toujours combattu les mesures d’accompagnement comme «entraves à l’accès au marché». Mais aussi par nombre d’employeurs suisses pour qui ces mesures, parmi les rares avancées contre la précarisation des salarié·e·s ces dernières années, ont toujours été un mal à combattre. Or, pour chaque pourcent de glissement salarial dû à l’accord–cadre, l’initiative raciste de l’UDC gagnera des points au vote. Autrement dit: ce n’est qu’avec un non à l’accord–cadre, que nous pouvons nous battre pour la libre circulation des personnes l’an prochain.

Les attaques sur la libre circulation sont fortes et les logiques souverainistes dominent, comment faire du refus de cet accord un refus progressiste?

Notre appel vise d’abord les milieux urbains modernistes qui ne connaissent peut-être pas assez la réalité du monde du travail aujourd’hui et qui tendent à sacrifier les droits des salarié·e·s à une idée abstraite d’Europe. À ces milieux, nous tentons d’expliquer qu’il ne peut y avoir de libre circulation des personnes sans protection des salaires. Inversement, aux milieux populaires précarisés s’étant tournés vers les forces nationalistes et réactionnaires ces dernières années, nous disons: il n’y a pas de protection de salaires sans libre circulation des personnes.

Le projet «souverainiste» n’a jamais voulu mettre fin à l’immigration, il veut simplement déposséder les migrant·e·s qui viennent travailler en Suisse de leurs droits pour les exploiter plus. On connaît en Suisse l’effet d’une telle politique: jamais la pression sur les conditions de travail n’a été si importante que durant les années sombres des quotas d’immigration et du statut du saisonnier. D’ailleurs l’UDC ne s’en cache pas: la multimilliardaire Magdalena Blocher–Martullo a ouvert la campagne électorale UDC en tirant à boulets rouges contre les mesures de protection salariale et les syndicats. Ainsi notre slogan Protégeons les salaires, pas les frontières est plus actuel que jamais.

Concrètement, quelle(s) campagne(s) devrait mener le monde syndical ces prochains mois?

Dans l’immédiat, il faut faire capoter l’accord-cadre en maintenant la pression publique. Nous sommes contents de voir que l’USS a fait sienne l’idée du manifeste en lançant un appel national à signer par tout le monde (protegeons-les-salaires-pas-les-frontieres.ch)

Ensuite, il s’agit de préparer d’ores et déjà la campagne contre l’initiative UDC. Nous devons y répondre de manière offensive, en exigeant plus, pas moins, de mesures de protection. Notamment un salaire minimum décent et un renforcement de la protection contre les licenciements. Un des enjeux sera ces prochains mois d’éviter le piège tendu par certaines lobbies sociaux–libéraux du type Foraus qui nous invitent à négocier à l’interne des mesures compensatoires aux mesures que nous perdrons avec l’accord-cadre. Or, le mécanisme même de cet accord rendra impossible toute amélioration de la protection salariale. La défense des droits de travailleurs·euses locaux·ales ou immigré·e·s passe donc d’abord par un refus de cet accord-cadre.