Changer de système: avec ou contre les autorités en place?

Si le mouvement de la grève des jeunes a d’emblée condamné le modèle économique actuel, les événements laissent penser qu’il évolue dans une dynamique contradictoire. D’une part, la volonté de discuter et de collaborer avec les gouvernements cantonaux atténue cette forme de radicalité ; d’autre part, l’émergence d’actions de blocage la renforce. Pour en faire état, solidaritéS publie une tribune de Guillaume Matthey et Hugo Musard, qui suivent le développement de ces nouveaux modes d’action, ainsi qu’une interview d’Alyssia Patenaude qui a rencontré le Conseil d’État fribourgeois.

Action Extiction Rebellion, Fribourg, avril 20189

Traits d’esprits au lieu de mesures sérieuses

La rencontre avec le Conseil d’État a eu lieu le 8 avril. Alyssia Patenaude, membre de la grève du climat à Fribourg, nous raconte comment elle a vécu ce débat avec l’exécutif.

Comment ce débat a-t-il été prévu?

Après les diverses grèves et manifestations ayant eu lieu à Fribourg, le Grand Conseil a voté pour une rencontre entre le Conseil d’État et une délégation du mouvement. Il a été décidé que trois conseillers d’État (Siegen, Castella et Steiert) rencontreraient quatre jeunes du mouvement (parité de genre respectée, membres tiré·e·s au sort parmi celles et ceux qui s’étaient proposés). Puis le contact a été établi entre les différents organes responsables du Plan Climat Fribourg et les membres du mouvement participant au Groupe de Travail correspondant. Plusieurs rencontres préalables ont eu lieu afin de mettre sur pied le déroulement de la discussion. J‘insiste sur le terme discussion et non débat, car c’est dans cette optique que nous sommes parti·e·s. Au sein du Groupe de Travail du mouvement, de nombreuses rencontres ont également eu lieu afin d’établir une liste de mesures concrètes applicables sur le canton de Fribourg. Nous avons énormément travaillé sur ces mesures et sur les possibilités d’application, sans compter nos heures (en rappelant que nous sommes tou·e·s étudiant·e·s). Les 4 représentant·e·s, dont je fais partie, avons aussi eu plusieurs entrevues afin de discuter un peu plus spécifiquement de l’attitude à adopter durant la rencontre du 8 avril, et c’est ainsi que nous sommes arrivé·e·s devant le Conseil d’État ce jour-là.

Comment s’est-il déroulé?
Moins bien que je l’espérais. Premièrement, la discussion a tourné au débat, ce qui était hautement prévisible dans le cadre d’une rencontre médiatisée. Ensuite, nous n’avons pas eu l’occasion de nous exprimer autant que l’a fait le Conseil d’État. Certains propos n’ont donc pas pu être expliqués ou justifiés, ce qui leur ôte forcément de leur crédibilité. Je pense également que nous étions trop préparés quant au fond de la rencontre, c’est-à-dire nous concentrant principalement sur les mesures concrètes, mais peut-être pas assez en termes de rhétorique politique. Cela peut s’expliquer par le fait que la politique n’est pas notre métier. J’avais la croyance naïve que tout se déroulerait dans le calme et l’écoute de l’autre, comme le prévoit le cadre d’une discussion en somme. J’ai également été déçue de l’entendre faire la liste des mesures prises, pour se donner bonne image, au lieu de parler de tout ce qui reste à faire. C’est un de mes plus grands regrets de la soirée: le propos de la discussion a été déplacé et aucune solution concrète n’a été abordée.

Mais j’ai eu des retours positifs des participant·e·s. Le public était de notre côté et à force de détourner les questions, les trois conseillers d’État commençaient aussi à se décrédibiliser. Le fait qu’aucune de nos propositions n’ait été reprise par le gouvernement a révélé son manque de volonté.

Je pense que nous étions très bien préparé·e·s pour une discussion à huis clos, mais pas assez pour une discussion publique médiatisée. Nous étions sur leur terrain, et dans ces circonstances-là, nous avions peu de chances de gagner.

Dans certains médias, on n’a peu ou pas fait mention des revendications du mouvement de grève et laissé place à la parole des politiques en invisibilisant la vôtre, ce qui donne l’impression que c’est les Conseillers d’ État qui ont gagné alors que cela semblait plutôt être l’inverse. Comment analyses-tu cela?

Effectivement, je ressens un peu une frustration de me dire que nos revendications ne sont peut-être pas assez bien été entendues, que nous n’en avons pas suffisamment parlé lors de cet échange. J’ai moi-même cette impression d’avoir «perdu la bataille», même si cet enjeu ne devrait pas devenir l’objet d’une querelle.

Il faudra voir ce qui ressort des prochaines rencontres avec les responsables du Plan Climat, car ce serait trop facile de s’avouer vaincu·e·s maintenant et de baisser les bras. Si le traitement médiatique de cette rencontre nous a fait passer pour les «perdant·e·s», nous avons encore de la crédibilité au niveau du contenu et nous allons redoubler d’effort! Mais il est clair que les médias ont préféré concentrer la couverture de cette rencontre sur ses aspects les plus polémiques [ou «sensationnels»], ce qui n’était pas pour nous servir.

Quel bilan en tires-tu? C’était la première entrevue entre le mouvement de la grève et les politiques du canton. Nous n’avons pas eu la couverture médiatique espérée, qui aurait permis à la population de prendre connaissance de cette discussion et de se ranger de notre côté, mais pas contre les politiciens non plus parce que ce n’est pas le but.

L’objectif était de montrer que nous partageons la même préoccupation face à l’urgence climatique et que nous unissions nos forces pour cela. Alors que les médias ont préféré sélectionner quelques traits d’esprit du débat pour décrédibiliser les jeunes et leurs revendications. Ce parti-pris, bien que regrettable, était prévisible. Il faut donc apprendre à faire avec et avancer quoi qu’il arrive.

Ainsi, je ne pense pas que cette rencontre ait apporté une avancée majeure, mais cela nous a permis de savoir à quoi nous en tenir pour une prochaine discussion publique. Dès à présent, les réunions se feront à huis clos pour permettre une meilleure collaboration et pour mettre sérieusement le sujet du climat sur la table. Du moins, nous l’espérons.

Propos recueillis par Maxence Kolly

De la sensibilisation au blocage pour le climat

Les débrayages scolaires et les mobilisation continuent de prendre de l’ampleur, mais les réponses politiques concrètes restent largement insuffisantes, sinon inexistantes. Devant cette passivité, le mouvement des jeunes pour le climat change de cap.

Les récentes occupations des sièges de Crédit Suisse, de Nestlé, de plusieurs caisses de pensions ou encore de l’espace public témoignent de cette évolution. Si ces actions restent symboliques, elles visent tout de même à bloquer un lieu dont l’exploitation contribue à aggraver la catastrophe écologique.

Face au double constat d’urgence climatique et d’inaction des gouvernements, ces actions de désobéissance civile se développent pour imposer nos exigences écologiques à l’agenda politique. Mais ces nouveaux modes d’action ne font pas encore consensus au sein du mouvement, certain·e·s y craignant que cela ne lui porte préjudice.

Si la répression de ces modes d’actions reste limitée, la police a néanmoins voulu empêcher un groupe de jeunes activistes de participer à la dernière mobilisation vaudoise. Quelques jours plus tard, les mêmes envisageaient de dénoncer à la justice d’autres jeunes ayant participé au blocage du Grand-Pont. Ces velléités répressives sont à contester fermement.

Quoi qu’il en soit, il est important de soutenir cette nouvelle dynamique, tant il est clair que la réponse à la crise climatique ne se fera pas avec la bienveillance des dirigeant·e·s actuel·le·s. Mais se pose encore la question des cibles de ces actions. Pour l’heure limitées à des occupations symboliques et parfois circonscrites à l’espace public, il apparait décisif qu’elles se concentrent sur les lieux de productions véritablement responsables des dégâts écologiques. En Suisse, il s’agit par exemple de l’industrie agro-alimentaire, des sociétés de négoce de matières premières, de la pharma ou encore des usines nucléaires. C’est de tels secteurs d’activité qu’il faudrait bloquer – et pas seulement quelques heures – si nous voulons traiter à la racine le problème climatique.

Hugo Musard & Guillaume Matthey