POUR UN FÉMINISME LIÉ AUX LUTTES D'ÉMANCIPATION SOCIALE
Fin septembre 2016, solidaritéS tenait son troisième (et avant-dernier) Congrès. À la veille de la grève des femmes*, nous republions ici de larges extraits de la résolution féministe adoptée lors de celui-ci, ainsi que des éléments du texte d’orientation qui l’accompagnait.
L’engagement fort de nos membres, les femmes* tout particulièrement, dans le travail préparatoire de l’actuelle grève féministe, comme la mise en avant des questions concernant les femmes* dans d’autres combats, notre opposition à la RFFA par exemple, comme aussi les horizons futurs de la lutte féministe, puise son inspiration et son orientation, notamment, dans ce document. Depuis, à cette résolution, s’est ajoutée une charte antisexiste adoptée par tout le mouvement. (Réd)
La nécessité de proposer un texte sur le positionnement féministe de solidaritéS s’inscrit dans l’exigence renouvelée de comprendre les formes de discriminations spécifiques et combinées dont les femmes* sont l’objet et de proposer des répertoires d’action pour les combattre. Mais elle s’ancre aussi et peut-être surtout dans la conscience acquise des bouleversements qu’a connu l’engagement féministe au cours de ces vingt ou trente dernières années et des nouvelles questions qui surgissent et auxquelles cet engagement spécifique est aujourd’hui confronté face notamment à l’émergence de nouvelles subjectivités et de nouveaux sujets. […]
L’articulation nécessaire du combat contre la domination masculine et les autres formes de domination, du féminisme avec les luttes de classe, de libération nationale, avec celles de l’immigration, de la jeunesse, des gays et lesbiennes, etc., était la pierre de touche du mouvement des femmes*. Les féministes matérialistes ont ainsi contribué à penser l’imbrication des dynamiques d’oppression ; plus tard, ce sont les afro-féministes qui en seront les principales théoriciennes jusqu’à la conceptualisation de l’intersectionnalité. […]
En outre, les questions les plus subversives de l’égalité substantielle et de l’émancipation sociale, portées par le féminisme, ont été ces dernières années en partie désamorcées. Si cela ne peut bien entendu être imputé aux féministes, la responsabilité de celles d’entre elles qui adhèrent peu ou prou à l’idée d’une promotion individuelle progressive des femmes* dans le cadre des institutions économiques, sociales et politiques existantes, ne doit pas être négligée. […]
Il est grand temps de réactiver les promesses émancipatrices du féminisme, alors que semble disparaître, derrière le lissage d’un féminisme en partie récupéré, « politiquement correct », le bien-fondé de l’articulation nécessaire des luttes pour la libération des femmes* et pour l’émancipation de tous les opprimé·e·s. Il s’agit ainsi de renouer avec un féminisme anticapitaliste en questionnant les fondements de notre société patriarcale, de classe, néocoloniale, etc., pour saisir l’intrication de ses formes de domination. […]
Depuis près de 50 ans que les années 1968 ont renouvelé les termes du débat sur la domination patriarcale et l’« oppression spécifique des femmes*» en contribuant à penser l’imbrication des dynamiques d’oppression, et près de 30 ans que les afro-féministes ont conceptualisé l’intersectionnalité partant de la situation concrète des femmes* concrètes, le féminisme a dû se confronter aux nouveaux visages du néolibéralisme. En effet, la précarisation du travail, la privatisation des biens communs, la marchandisation de la vie quotidienne et le transfert croissant des tâches de care aux familles et sa transnationalisation, ont eu des conséquences distinctes et plus marquées pour les femmes*. […]
C’est pourquoi solidaritéS contribue aux approches radicales et globales élaborées dans les années 1970 et 1980 et développées depuis, prenant en compte les transformations sociales profondes de ces dernières décennies afin de répondre à une série de « nouvelles questions féministes ». Associant étroitement le développement de la pensée et de l’action, solidaritéS encourage la participation de ses militant·e·s au mouvement féministe autonome pour aider à le renforcer dans sa dimension anticapitaliste, écologiste et internationaliste.
1. solidaritéS réaffirme qu’aucune émancipation humaine n’est concevable sans un combat résolu contre l’oppression patriarcale. Pour autant, nous refusons de hiérarchiser les oppressions – de genre, de classe, de « race », de nationalité, de statut, d’orientation sexuelle, etc. – subies par l’écrasante majorité des femmes* et défendons pour cela un féminisme inclusif.
2. solidaritéS s’engage à lutter contre toutes les formes de discriminations et d’inégalités à l’encontre des femmes*, aggravées par le caractère pluriel et combiné des oppressions qu’elles subissent (inégalités persistantes – voire croissantes – au travail rémunéré et non-rémunéré ; violences, agressions, harcèlements, viols, mutilations ; limitations du droit à l’avortement ou à la contraception ; exclusion de l’espace public, prescriptions vestimentaires, réclusion dans la sphère privée ; exploitation par les réseaux de prostitution, etc.) et contre toutes les idéologies, notamment fondamentalistes religieuses, porteuses de visions du monde et de discours patriarcaux et homophobes.
Si nous refusons les discours patriarcaux sur ce que doivent ou ne doivent pas être les comportements des femmes*, ce n’est pas pour valider d’autres discours prescriptifs, sur ce que devrait ou ne devrait pas être la conduite des « femmes* émancipées ».
3. solidaritéS inscrit son engagement féministe dans la perspective d’une transformation radicale des rapports sociaux visant l’émancipation humaine. Celle-ci exige une compréhension de la position effective des femmes*, qui résulte du cumul et de la combinaison de différentes formes d’oppression. Dans le parcours d’une vie, elle commence par l’éducation sexiste et hétéronormée des petites filles et des petits garçons. La majorité des femmes* subissent des rapports sociaux de genre qui se déclinent concrètement en termes de bas salaires, de fonctions subalternes, de contrats précaires et de doubles journées de travail ou de déplacement de l’exploitation vers d’autres femmes* (travailleuses domestiques). Ceux-ci sont exacerbés par des politiques étatiques défavorisant la prise en charge des enfants par les pères (inexistence d’un congé parental égalitaire), et une insuffisance et des coûts trop élevés des services publics (prise en charge de la petite enfance, parascolaire, soin aux malades, aux personnes avec un handicap et aux personnes âgées, etc.) […]
Ces rapports sociaux de genre interagissent encore avec d’autres formes d’oppression, liées notamment à la nationalité, au statut légal, à la couleur de la peau, à la religion, etc. Dans cet ordre d’idées, le foulard est devenu aujourd’hui l’enjeu d’un discours excluant à l’égard des femmes* musulmanes qui souhaitent le porter et s’exposent ainsi à des brimades supplémentaires. Ces discriminations confrontent également, de manière différente, la communauté LGBTQI.
4. Le caractère pluriel et combiné de l’oppression des femmes* dans le cadre d’une société marquée par l’exploitation du travail, le patriarcat, la xénophobie, le racisme, l’homophobie, la transphobie, etc. implique que nous devons porter une attention spécifique à la résultante inégale de ces multiples oppressions sur la majorité des femmes*. Tout projet d’émancipation humaine digne de ce nom, passe par la prise de parole, l’organisation et la lutte collective des opprimé·e·s.
Cela vaut plus encore pour les femmes*, opprimées parmi les opprimés, dont la libération ne peut faire l’économie d’une prise de parole propre, d’une formulation de revendications spécifiques, d’une organisation séparée ou mixte lorsqu’elles l’estiment nécessaire, d’une prise de responsabilité (en particulier dans les organisations mixtes), etc.
solidaritéS s’efforce pour cela d’inscrire les combats sociaux dont il est porteur dans une perspective féministe radicale et inclusive, facilitant ainsi leur engagement dans la lutte. […]
10. solidaritéS constate la division dans le système capitaliste entre le travail salarié et le travail domestique et reproductif traditionnellement assuré par les femmes*. Si la part du travail salarié a augmenté pour les femmes*, elles assurent toujours la majeure partie du travail non salarié en plus. Il devient toujours plus fréquent qu’une partie de ce travail, dans les classes plus aisées, soit assurée par des femmes* venant d’ailleurs, migrantes, sans papiers, à des conditions précaires et des très bas salaires. Face à cette situation, solidaritéS se doit de s’engager à deux niveaux, en collaboration avec d’autres acteurs:
– agir pour améliorer les conditions de travail et de salaire des femmes*, travailleuses domestiques et dans le domaine
du care
– s’engager à favoriser le développement de conditions qui permettent un meilleur partage du travail domestique et
reproductif entre hommes et femmes*. […]