Grandeur et succès de la vague violette

Le patriarcat suisse a tremblé le 14 juin 2019

Plus de 160 000 personnes dans les rues de Zurich, 60 000 à Lausanne, 40 000 à Berne, 30 000 à Genève et 12 000 à Neuchâtel, Sion et Fribourg: le succès flamboyant de la grève féministe et des femmes* du 14 juin 2019 est incontestable. Un résultat d’autant plus brillant que le mouvement a su inclure des personnes vivant des oppressions diverses lors d’une journée où le slogan « solidarité avec les femmes du monde entier » a résonné en continu

Manifestation de la Grève des femmes du 14 juin 2019 à Genève
Genève.
Manifestation de la Grève féministe du 14 juin 2019 à Neuchâtel
Neuchâtel.
Michel Rodde
Manifestation de la Grève féministe à Fribourg
Fribourg

À minuit, le ton est donné: dans beaucoup de villes romandes, la journée débute par une manifestation de nuit, au son des casseroles à Neuchâtel et à Genève, autour d’un feu de joie à Lausanne, sous une banderole déployée depuis le haut de la cathédrale à Fribourg, ou lors d’une marche nocturne contre les violences sexistes à Sion.

Puis, dès le matin – après une courte nuit pour certaines – et tout au long de la journée, les événements s’enchaînent. Dans le Valais, de Brigue à Monthey, plusieurs actions sont réalisées. À Neuchâtel, décorations violettes sur le mobilier urbain, féminisation des noms de rues et de places, lessives féministes suspendues à travers les rues. À Genève, tractages à 7 h et rendez-vous à midi pour des pique–niques collectifs dans les quartiers. Dans la ville de Fribourg, 42 noms de rues ont été remplacés par des noms de femmes* importantes de la vie du canton. Dans le canton de Vaud, des collectifs locaux ont mené des actions décentralisées. Ainsi, plus de 500 personnes se sont réunies dans la Vallée de Joux, un symbole fort puisque ce sont les horlogères de la région qui avaient lancé la première grève des femmes, celle de 1991.

Des manifestations d’une ampleur inégalée

Denses, hautes en couleur, animées par des voix de collégiennes, de lycéennes, d’étudiantes, mais aussi de travailleuses, de mères de famille, de retraitées, de femmes* de toutes origines et tous statuts, les manifestations de fin d’après-midi ont été le point d’orgue de la journée. Des groupes venus de partout y ont pris part pour défendre le droit à l’avortement, pour la reconnaissance des femmes migrantes, contre le harcèlement, pour le droit des chômeuses, contre l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes, pour un vrai congé parental, pour l’égalité salariale, etc.

Les défilés étaient intergénérationnels, regorgeant de pancartes, banderoles et slogans déterminés, revendicateurs et imaginatifs. Et l’inclusion de ce mouvement était évidente: toutes les femmes*, les personnes transgenres et non binaires, toutes les formes de féminisme avaient leur place. À Genève, le collectif « foulards violets », constitué de femmes musulmanes portant le foulard, scandait dans un tronçon dynamique « Me libérez pas, je m’en charge! ». Quelques mètres plus loin, un groupe de femmes défilait seins nus, pour dénoncer l’hypersexualisation du corps des femmes.

Faire grève dans les lieux de travail n’a pas été facile, mais d’innombrables travailleuses ont porté les couleurs de la grève pour montrer leur solidarité dans les écoles, les crèches, les hôpitaux, les magasins et les services. Des silhouettes représentant des femmes* n’ayant pas pu participer à la grève, parce que ne pouvant quitter leur lieu de travail ou parce que sans-papiers, et portant leurs revendications ont été brandies par des marraines durant le cortège.

Un écho retentissant à l’international

Les soutiens ont été nombreux de et vers l’international, avec des messages de solidarité dans un sens comme dans l’autre. La couverture médiatique a été impressionnante, allant du New York Times à la BBC en passant par des journaux comme O Estado au Brésil ou El Pais dans l’État espagnol. Ce qui ne peut que contraster avec la sous-évaluation dramatique des cortèges genevois et neuchâtelois dans les médias (à Genève, annonce de 12 000 personnes selon la police, alors que la RTS, après un calcul tardif, a établi plus de 30 000 participant·e·s et à Neuchâtel il a été évoqué 5 000 personnes contre plus de 12 000 manifestant·e·s).

En résumé, c’est une journée de mobilisation historique qu’il nous a été donné de vivre. Qui laisse espérer un changement des mentalités, y compris dans un canton conservateur comme le Valais. Des dizaines de milliers de femmes* se sont mobilisées sur leur lieu de travail, dans les maisons de quartier ou sur les lieux de formation. Elles ont paralysé les rues des villes et démontré une nouvelle fois que lorsque les femmes s’arrêtent, tout s’arrête. La meilleure leçon apprise dans les différents groupes d’organisation de cette grève est sans doute celle-ci: ensemble, collectivement, on peut. Et on ne lâchera rien jusqu’à avoir obtenu l’égalité réelle pour toutes et tous!

MD MP RW NR AM