Chili

État d'urgence sociale

Le président chilien affirme que le pays est en guerre. Il a raison: blindés dans les rues, couvre-feu instauré dans plusieurs villes, l’armée qui tire à balles réelles sur les manifestant·e·s.

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Manifestation à Santiago, octobre 2019
Mauro Photography

Au moment de la rédaction de cet article, on comptait près d’une vingtaine de mort·e·s, des centaines de blessé·e·s et plus de 2000 arrestations. L’institut national des droits humains enquête sur un supposé centre de torture installé dans le sous-sol d’une station de métro. Non, on ne parle pas de la junte militaire qui a mis brutalement fin à la présidence Allende, mais bien du Chili d’octobre 2019.

Prenons un exemple: une genevoise qui gagne 4000 francs par mois paie son billet de bus 2 francs, avec l’abo demi-tarif. Une chilienne qui gagne 400 euros mensuels (soit le salaire minimum) paie un euro pour prendre le métro. Proportionnellement, le ticket coûte cinq fois plus cher à Santiago qu’à Genève. La hausse du prix du billet a été l’étincelle de la révolte populaire. Mais l’embrasement du pays s’explique plus généralement par la violence du modèle néolibéral imposé dans les années 1980, durant la dictature. D’où le slogan des manifestant·e·s: « ce n’est pas pour 30 pesos, c’est pour 30 années. »

30 ans de violences néolibérales

30 ans que les services de base (éducation, santé, électricité, retraites, transports, etc.) sont privatisés et coûtent très chers. Les salaires de la majorité de la population ne suffisent pas pour vivre dignement. De l’autre côté, les riches vivent avec faste dans cette société fortement inégalitaire. En 30 ans, la classe dirigeante n’a jamais réalisé une véritable transition vers la démocratie, la Constitution en vigueur étant celle héritée de Pinochet. L’augmentation des prix des transports publics a fait exploser les contradictions sociales de fond et fait entrer le pays en guerre. Une guerre de classe.

Dans son discours à La Havane en 1972, Salvador Allende disait: « Il est très difficile, dans le cadre d’une démocratie bourgeoise, d’impulser un authentique processus révolutionnaire. Mais nous avons fait des progrès et nous continuerons d’en faire. Et nous le faisons en respectant notre conscience, le programme que nous soulevons devant le peuple, et la décision de ceux qui sont en train d’ouvrir la voie vers une nouvelle société (…). » Fidel Castro a dit dans un de ses discours: « ce ne sont pas les révolutionnaires qui ont inventé la violence. C’est la société de classe qui, au cours de l’histoire, a créé, développé et imposé son système, toujours au travers de la répression et de la violence. De tous temps, ceux qui ont inventé la violence sont des réactionnaires (…). »

Les concerts de casseroles retentissent à nouveau dans les larges avenues chiliennes que tôt ou tard le peuple empruntera, libre. Les réactionnaires ont raison de trembler.

Giulia Willig