Fortune privée et pouvoir politique

couverture du journal 360

Selon une étude de l’Administration fédérale du 20 août 2019, la Suisse connaît « une croissance importante du montant total des fortunes durant ces dernières années, ainsi qu’une répartition de la richesse toujours plus inégale »

En 2015, 67 % de la fortune privée est détenue par des millionnaires. 

Mais c’est dans le canton de Genève que l’inégalité des fortunes est la plus forte : 67 % des contribuables y déclarent un patrimoine inférieur à 50 000 francs, tandis que 80 % de la fortune privée est détenue par des millionnaires. 

De 2003 à 2015, l’inégalité des fortunes a progressé, et Vaud s’est distingué comme le champion de cette évolution, juste derrière le Tessin et Obwald. En Suisse, 1 % des plus grosses fortunes dépassaient le seuil des 2,7 millions en 2003, alors que ce seuil était de 3,8 millions (+ 42,9 %) en 2015.

En Suisse, la croissance annuelle des recettes de l’impôt sur la fortune des cantons et des communes (+ 3,4 %) a suivi celle du patrimoine (+ 3,6 %). En revanche, à Genève, les fortunes on crû beaucoup plus vite (+ 6,5 %) que ces recettes (+ 4,9 %). Les possédant·e·s 

ont été épargné·e·s, sans doute par l’introduction (2011) d’un « bouclier fiscal » pour les multimillionnaires.

L’impôt sur le patrimoine joue un rôle secondaire sur la distribution des grandes fortune en Suisse, sauf peut-être à Zurich, qui dispose des « paradis fiscaux » de Zoug et de Schwyz. C’est pourquoi la croissance rapide et la concentration du patrimoine à Genève n’ont pas été dissuadées par la plus « forte » imposition des grosses fortunes. 

Comme le montrait récemment le magazine Bilan, Genève se taille la palme d’or, avec 82 multimillionnaires (27 %) sur les 300 plus riches de Suisse qui déclarent une fortune cumulée de 702 milliards, contre 42 dans le canton de Vaud (14 %), 22 dans le Valais (7 %), 2 à Fribourg et aucun·e à Neuchâtel.

On sait que de grosses fortunes mondiales achètent aujourd’hui officiellement des passeports. Ce marché est évalué à 25 milliards de dollars par an. Un cabinet zurichois est le leader mondial en la matière (Bilan, déc. 2019). On peut s’offrir une nationalité quasi cotée en bourse (le passeport suisse arrive en 6e position). Ce passe-droit a récemment défrayé la chronique à Genève, en marge de l’affaire Maudet.

La fortune privée de la 3e des grandes banques privées genevoises, le Groupe Mirabaud, bien implanté aux Émirats Arabes Unis et cité à plusieurs reprises dans les Panama Papers, est évaluée par Bilan à 500–600 millions de francs, en hausse de 100 millions en 2019. Cette puissance financière autorise le grand patron de cette société, Yves Mirabaud, à intervenir dans la politique cantonale comme s’il s’agissait d’une affaire de famille. 

Le 4 juin 2018, il adressait ainsi une remontrance écrite au président du PDC genevois, Bertrand Buchs, en raison de ses attaques contre le magistrat PLR, Pierre Maudet (voir fac-similé ci-contre). Depuis lors, malgré le départ de Buchs des instances du PDC genevois, sa section cantonale n’aurait plus reçu d’argent du Groupe Mirabaud (Die Zeit, 5 déc. 2019).

Il est donc grand temps de mener une campagne démocratique contre l’emprise de l’argent sur la politique, qui exige au moins une transparence absolue du financement des partis, des candidat·e·s et des élu·e·s et une lutte sans concession contre toutes les formes de corruption, dont Genève est une plaque tournante.

Jean Batou

Lettre du banquier Yves Mirabaud au président du PDC genevois Bertrand Buchs
Notre journal a pu se procurer une copie de la lettre du banquier Yves Mirabaud, du 4 juin 2018, au président du PDC genevois Bertrand Buchs. Une intervention aussi directe et péremptoire d’un banquier auprès du président d’un parti bourgeois n’est pas monnaie courante. En général, on y met tout de même un peu plus les formes, comme nous l’a confirmé un expert de l’histoire bancaire suisse.