La dette, instrument de l’ordre néolibéral et impérialiste

Emmanuel Macron déclarait dans son allocution du 13 avril 2020 vouloir l’« annulation massive des dettes » des pays africains pour les aider à lutter contre le coronavirus et à surmonter la crise économique. Paroles, paroles… 

Téléconférence de presse du FMI, 16 avril 2020
Téléconférence de presse du FMI, 16 avril 2020
IMF / Joshua-Roberts

À la suite de cette déclaration, les États créanciers membres du G20 et du Club de Paris (groupement d’États créanciers créé en 1956, spécialisés dans la normalisation des défauts de paiement des pays « en voie de développement »), dont la Suisse fait partie, ont seulement annoncé une suspension provisoire du remboursement des dettes bilatérales pour 73 pays classés parmi les « plus pauvres ». Celle-ci est d’environ 14 milliards de dollars. La somme pourrait éventuellement s’élever à 40 milliards si tous les créanciers multilatéraux (dont la Banque mondiale) et privés s’y ralliaient. 

Ce moratoire a débuté le 1er mai et ne concerne que les montants dus pour les huit derniers mois de l’année 2020. Le remboursement des sommes dues pour 2020 restera échelonné sur trois ans (de 2022 à 2024) et s’additionnera aux autres paiements déjà prévus sur cette période. De plus, les remboursements prévus pour l’année 2021 ne sont pas suspendus. 

Ce moratoire est donc très réduit puisqu’il ne couvre que 3 % des paiements prévus en 2020 au titre du service de la dette des « pays en développement ». Le seul service de la dette des États africains en 2020 était estimé à 44 milliards de dollars. 

De son côté, le FMI n’a pas suspendu le remboursement de ses créances, mais a simplement annoncé le 13 avril l’annulation des remboursements des dettes qui lui sont dues de mai à décembre 2020 pour les 25 pays les plus pauvres, équivalent à 215 millions de dollars, soit 1 % des paiements prévus par les pays « pauvres » en 2020. En réalité, le FMI sera remboursé via le Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes, qui est alimenté par différents États donateurs. Les dons versés sur ce fonds ne permettront pas aux pays pauvres de faire face à la situation sanitaire mais serviront à rembourser en priorité le FMI.

De manière plus générale, le FMI et la Banque mondiale maintiennent l’obligation d’intensifier les politiques d’austérité et de libéraliser l’économie comme conditions à tout nouveau prêt et à toute mesure de report ou allègement de la dette. 

De leur côté, les créanciers privés, y compris les banques commerciales, n’ont pris aucune mesure pour suspendre les dettes de pays de la périphérie tout en continuant d’emprunter à la Banque centrale européenne (BCE) à des taux d’intérêts négatifs. La dette des pays de la périphérie à l’égard du secteur privé a considérablement augmenté depuis la crise de 2008. Les taux d’intérêt associés à ces dettes sont largement supérieurs à ceux proposés par les prêteurs publics et les durées de remboursement beaucoup plus courtes. 

La dette au service des classes dominantes

La dette totale (publique et privée, intérieure et extérieure) des pays  « en développement » a augmenté de manière massive en ces dix dernières années, passant de 120 % à 191 % du PIB. Cette dette, qui a atteint en 2019 son plus haut niveau historique, empêche ces pays de satisfaire aux besoins fondamentaux de leurs populations.

La dette a constitué au cours des âges et jusqu’à ce jour l’un des principaux instruments de domination, d’exploitation et de pillage des pays en voie de développement et pauvres par les pays industrialisés – États-Unis et Union européenne en particulier – et les organismes financiers mondiaux. Les pays de la périphérie ont été les premiers à souffrir des politiques néolibérales et d’ajustement structurel résultant de la dette, qui les ont plongés dans davantage de pauvreté, tandis que leurs créanciers rendaient impossibles l’émancipation, le développement et l’indépendance de leurs sociétés. La crise permanente des services de santé est d’ailleurs l’un de ces résultats. 

Dans tous ces cas, on peut parler de dette odieuse, du fait de l’absence de consentement des populations des États débiteurs, de l’absence de bénéfices pour les peuples concernés, et de la connaissance de ces éléments par les créanciers.

Dans ces pays, la dette a servi et continue à servir d’outil de soumission politique et de mécanisme de transfert de revenus du travail au capital local et, surtout, mondial. Dans ce cadre nous devons revendiquer l’annulation des dettes, qui ne doivent pas être limitées aux pays les plus pauvres et doivent s’appliquer à tous les créanciers publics et privés. Des appels dans ce sens ont été fait par Secrétaire général de l’ONU, la CNUCED ou encore 205 organisations de la société civile dans un appel international pour un jubilé de la dette.

Dire non à la dette, c’est se positionner clairement pour un changement radical et contre la soumission aux classes dominantes.

Joseph Daher