Patronat et sortie du confinement

Coups de massue en vue

De grands placards publicitaires dans la presse quotidienne, adressés à «Mesdames et Messieurs les élus», ont rappelé l’attachement des patron·ne·s au «moins d’État», leur rejet de toute nouvelle charge et leur amour du frein à l’endettement, donc à l’austérité. L’attaque sociale prévue sera brutale.

Ueli Maurer, session extraordinaire, Parlement-Béatrice Devènes

Outre le rappel de ces grands principes, la pub financée par Économiesuisse se contente de dire : faites-nous confiance, laissez-nous faire, nous sommes les mieux placés pour savoir comment agir dans ces temps difficiles. Cette retenue, qui contraste avec l’effet d’annonce recherché, ne se retrouve pas dans les textes plus fouillés publiés par diverses organisations patronales. Là, plus de fausse pudeur, plus de vagues généralités, mais des objectifs clairs et un avis de tempête pour le monde du travail.

Des horaires plus flexibles, des règlements plus souples

Commençons par le poisson–pilote du patronat suisse, le laboratoire d’idées « Avenir Suisse », dont le mérite et souvent de formuler tout haut ce que les pontes de l’économie suisse pensent tout bas. Dans un document intitulé « Accorder plus de liberté aux entreprises pour lutter contre le coronavirus », on peut lire : « La production, la consommation, la demande et l’offre devraient donc être étendues à sept jours par semaine et ne pas être limitées à des heures fixes de jour ou de nuit. […] L’assouplissement des activités opérationnelles, de la production et des horaires de travail pourraient faciliter le respect des règles de distance. Une simplification de la réglementation est nécessaire dans le domaine du droit du travail, des horaires d’ouverture des magasins, de la logistique et de la circulation des marchandises, pour les travailleurs frontaliers et dans l’administration des hôpitaux. » Il y a peu de chances de voir ces exigences disparaître une fois la pandémie sous contrôle, cela d’autant plus qu’elles correspondent à la tonalité des déclarations des autres organisations patronales.

Dans un autre document, Avenir Suisse revendiquait un rythme de remboursement de la dette du coronavirus d’un milliard de francs par an, grâce au frein à l’endettement et à une réforme des assurances sociales. Un objectif que partage sans aucun doute le ministre des Finances de la Confédération, Ueli Maurer, qui à la RTS, disait s’identifier sans problème au personnage de L’Avare de Molière. Un compulsif de la rétention financière dont le valet se moque en disant de lui qu’il a tellement horreur du mot donner qu’il ne dit jamais « je vous donne », mais « je vous prête le bonjour ».

Le frein à l’endettement est aussi plébiscité par Économiesuisse et l’USAM, la faîtière du petit patronat. Pour ceux et celles qui auraient, dans leurs moments les plus fous, rêvé d’une relance verte, la porte est verrouillée à double tour. Les politiques d’austérité devront se poursuivre, système de santé compris.

Le prix de « l’adaptation nécessaire »

Bien plus franchement que dans son petit manifeste publicitaire à l’intention des élu·e·s, Économiesuisse décrit ainsi l’avenir immédiat : « La crise du coronavirus laissera des traces dans l’économie pendant des années. Malheureusement, il ne faut pas s’attendre à un rebond économique rapide qui permettrait de revenir vite au niveau d’avant la crise et de le dépasser. L’économie sera au contraire dans l’obligation de procéder à des adaptations structurelles considérables. Aussi longtemps que ces adaptations ne provoquent pas des réactions en chaîne négatives dans des branches ou des régions entières entraînant dans leur sillage des entreprises saines, elles font partie du processus d’adaptation nécessaire. Il s’agit d’atténuer au mieux les conséquences directes de la crise comme l’augmentation du chômage, les faillites d’entreprises et la baisse des recettes fiscales. Il faut cependant admettre la restructuration des marchés à long terme et ne pas tenter de maintenir des structures à tout prix. Les sociétés qui avaient des problèmes avant la crise ne devraient pas être maintenues en vie artificiellement. » 

La crise qui vient doit donc permettre au capitalisme suisse de poursuivre sa concentration et sa centralisation, en laissant tomber les secteurs les plus faibles. Le coût social du sacro-saint développement de la compétitivité est ainsi fixé : faillites, licenciements massifs, chômage, augmentation de la précarité. Et un éventuel retour de la pandémie devrait être combattu uniquement en prenant des « mesures ciblées occasionnant les coûts économiques les plus faibles ». La santé de la population dut-elle en pâtir. Et ils osent appeler cela « Avenir Suisse »…

Daniel Süri