La crise révèle et accentue la précarité

Chaque samedi depuis plus d’un mois, les files d’attente de la distribution alimentaire hebdomadaire à la patinoire des Vernets à Genève font la une des médias. Cette situation révèle une précarité « invisible » mais bien présente avant la pandémie de Covid-19. 

Caravane de solidarité, Genève
Samedi 30 mai, la Caravane de solidarité a distribué 3200 sacs aux Vernets.

Une nouvelle distribution de colis alimentaires et de produits de première nécessité a eu lieu à Genève samedi 30 mai. Un triste record a encore été battu : plus de 3200 sacs ont été distribués. L’initiative est désormais soutenue et coordonnée par la Ville de Genève. Mais, rappelons-le, elle est partie de l’association La Caravane de solidarité. En avril, les distributions d’à peine plus de cent colis dans le quartier de Plainpalais, sans autorisation officielle, ont valu à l’une des organisatrices d’être emmenée au poste. La voiture remorque a été séquestrée avec les denrées qu’elle contenait. Nous avions dénoncé cette action de police injuste et scandaleuse (solidaritéS nº 367). 

Précaires et sans-papiers en première ligne

Ces files interminables sont un symptôme d’une crise sociale et économique profonde. La précarité d’une partie importante des travailleurs·euses en Suisse n’est pas un phénomène nouveau dont le coronavirus et le semi-confinement seraient la cause. « Cette crise a révélé une précarité invisible, sous le radar des institutions. Celle de familles qui s’en sortaient juste-juste et qui ont soudainement basculé dans la pauvreté », indique Alain Bolle, directeur du Centre social protestant (Le Courrier, 5 mai 2020). En outre, selon lui, les travailleurs·euses sans-papiers sont les plus touché·e·s. Ils·elles ont perdu abruptement leurs revenus parce qu’ils·elles n’ont droit à aucune aide.

Une étude menée conjointement par les Hôpitaux Universitaires de Genève et Médecins sans frontières lors de la distribution du samedi 2 mai aux Vernets révèle une grande vulnérabilité sanitaire, parmi les femmes en particulier. Seulement 40 % des répondant·e·s ont une assurance maladie. Cette proportion descend à 10 % pour les personnes sans-papiers. Plus de 10 % des personnes ont renoncé à des soins médicaux lors des deux derniers mois. L’accès à la santé prétendument universel ne l’est pas pour les populations les plus vulnérables…

Pas seulement à Genève

Les images genevoises sont spectaculaires mais la situation est tout aussi préoccupante dans le reste de la Suisse. À Zurich, faire la file dans l’espace public est inimaginable pour un grand nombre de personnes sans-papiers. La peur de la police y est beaucoup plus grande qu’en Suisse romande. À Lausanne, la fondation Mère Sofia distribue plus de 900 repas chauds quotidiennement contre moins de 300 auparavant. Partout, les files s’allongent et mettent en difficulté les associations qui n’arrivent plus à suivre, avec leurs moyens limités (RTSinfo, 21 mai 2020).

Les réponses des autorités sont insuffisantes. Par exemple, le Conseil d’État genevois propose une enveloppe de 15 millions de francs pour financer une indemnisation sous conditions pour les personnes n’ayant pas droit aux indemnités fédérales ou cantonales ou au chômage. Des contrôles stricts des dossiers auront lieu, assurent les conseillers d’État Thierry Apothéloz et Mauro Poggia. Ainsi, seules 1500 à 3000 personnes pourraient en bénéficier (Le Courrier, 25 mai 2020).  

Des droits pour tou·te·s !

Des engagements forts doivent être pris tant pour le soutien aux associations venant en aide aux plus précaires que dans l’élargissement des droits de tou·te·s les travailleurs·euses pour la justice sociale. Les subventions aux associations sociales et de santé doivent être augmentées et mieux coordonnées (solidaritéS nº 368). Tel que le demande un appel lancé par L’Association Sleep-In à Lausanne, les mesures d’urgence augmentant la capacité de l’accueil de nuit doivent être pérennisées afin d’assurer un lit pour chaque sans-abri. 

De plus, les projets de régularisation des sans-papiers doivent être étendus. Avoir un statut légal est la condition sine qua non pour que les travailleurs·euses puissent défendre leurs droits. En outre, la loi sur les étrangers et l’intégration doit être dénoncée. Les autorités ont la possibilité de révoquer une autorisation de séjour, de rétrograder un permis C en permis B, ou de refuser une naturalisation parce que la personne touche ou a touché l’aide sociale pendant son séjour en Suisse. Ces salarié·e·s sont mis·es sous pression et piégé·e·s, la loi actuelle les pousse à ne pas défendre leurs droits (L’événement syndical, 13 mai 2020). Une convention collective de travail obligatoire doit être imposée dans le secteur du travail à domicile, comprenant notamment un salaire minimum et une affiliation à l’assurance chômage.

Victor Studer