Déboulonnage d’une statue et révisionnisme historique

Statue de David de Pury, Neuchâtel

Dans le sillon des mobilisations mondiales Black Lives Matter,un collectif a lancé le 8 juin une pétition en ligne demandant aux autorités compétentes que la statue de David de Pury – 1709-1786, membre de l’aristocratie neuchâteloise devenu richissime grâce à la traite des noir·e·s – soit remplacée par une plaque commémorative « en hommage à toutes les personnes ayant subi et subissant encore aujourd’hui le racisme, et la suprématie blanche ». Depuis, le débat enflamme la toile à propos de ce que certains nomment du révisionnisme historique et d’autres un travail de mémoire nécessaire. 

Selon certain·e·s détracteurs·trices de cette pétition, retirer la statue de l’espace public serait moralisateur et contre-productif, en biffant justement l’histoire raciste de la ville puisque celle-ci n’en porterait plus les traces directes. Certes, nous ne pouvons juger le passer à l’aulne du présent, car chaque époque a son contexte et ses constructions morales, économiques, sociales. Mais c’est précisément faire du révisionnisme que de croire qu’à l’époque de l’édification déjà, il n’y avait qu’une histoire, que cette statue avait sa pleine légitimité aux yeux de tout le monde. Car de tout temps, il y a eu des hommes et des femmes, directement concerné·e·s ou non, qui ont lutté contre l’esclavage, mais qui n’ont, eux·elles, pas eu droit à leur statue sur l’espace public.

Histoire des puissants

D’autre part, il s’agit de s’interroger sur la portée et la visibilité que nous donnons à un tel symbole dans notre espace public. L’espace public est façonné par les puissants et le passé mais nous touche au présent. Ainsi, dans le cas de de Pury, l’édification de cette statue en 1855 à l’instigation d’un comité présidé par Henri-Frédéric de Meuron–Terrisse (chef de la contre–révolution royaliste en 1856) était un acte militant de la bourgeoisie de Neuchâtel rendant honneur à l’un des siens. 

Continuer d’honorer David de Pury dans l’espace public, c’est accepter l’histoire écrite par les puissants. Si l’on ajoute simplement une plaque explicative sur le monument, symboliquement, l’esclavagiste trônera toujours sur les neuchâtelois·es. Aussi, cette statue n’a plus sa place dans la rue mais dans un musée. Sa conservation, accompagnée d’explications tant sur l’histoire du personnage que sur le contexte de sa reconversion muséographique, permettrait de faire un travail de mémoire sur notre passé avec une portée réflexive sur notre présent.

François Chédel