Black Lives Matter
Enjeux d’une nouvelle séquence des luttes antiracistes
Partout dans le monde, des manifestations ont essaimé à la suite du meurtre brutal de George Floyd. À chaque fois, c’est le racisme négrophobe propre à chaque pays qui est dénoncé. Retour sur les enjeux d’une nouvelle séquence des luttes antiracistes.
L’image est saisissante et sans doute historique : des villes de Belgique, de France, de Grande-Bretagne, des Pays-Bas, de la Turquie, des États-Unis bien sûr, ou encore du Brésil ou du Japon, marquées par le bruit des manifestant·e·s qui crient « Black lives matter » (les vies des personnes noires comptent). Toutes ces villes se sont soulevées contre les violences policières qui, partout dans le monde, déshumanisent quotidiennement et parfois tuent des personnes noires, principalement des hommes.
Si la dénonciation des violences policières racistes n’est pas nouvelle, ces mobilisations de masse sont inédites par leur force et leur ampleur. Elles sont également nouvelles (dans l’histoire récente, faudrait-il préciser) par l’internationalisation de la lutte contre la négrophobie. En ce sens, elles montrent qu’on a affaire à une domination systémique, internationale, héritée de la colonisation et de l’esclavage transatlantique, qui nie l’humanité des personnes noires pour mieux les exploiter. Elles montrent que cette fureur raciste est profondément ancrée, et que seule une lutte politique pourra y mettre fin. Elles montrent, enfin, que le racisme colonial n’a pas disparu avec les décolonisations formelles, et elles s’inscrivent en ce sens dans l’histoire des luttes anticoloniales.
Ces mobilisations ont très vite dépassé le seul enjeu des violences policières, comme le montre la manière dont elles se sont saisies des monuments ou statues glorifiant des esclavagistes et autres figures racistes. Certaines d’entre elles ont été arrachées, taguées et parfois remplacées par des figures des luttes. Les manifestant·e·s ont mis en lumière le passé (et le présent) colonial de ces pays. Dès lors, ces luttes symboliques s’articulent avec les enjeux des mobilisations actuelles, puisqu’elles permettent aux communautés noires et plus largement non-blanches de s’organiser et de lutter contre le racisme qu’elles subissent dans ces pays.
Déshumanisation raciste
Comme l’écrivait Frantz Fanon en 1961 dans Les damnés de la terre, « l’intermédiaire du pouvoir utilise un langage de pure violence. L’intermédiaire n’allège pas l’oppression, ne voile pas la domination. Il les expose, les manifeste avec la bonne conscience des forces de l’ordre ». Il montrait ainsi que ces violences ne sont que la forme la plus visible de la déshumanisation raciste.
En effet, la dignité des personnes noires est humiliée et bafouée par la police, mais aussi par la division raciale du travail qui les assigne aux emplois les plus précaires (quand elle ne les exclut pas tout bonnement du marché du travail). Elle est humiliée et bafouée quand ce sont les travailleurs et travailleuses sans papiers ou issues de l’immigration qui sont au front pendant qu’une grande partie de la population se met en télétravail lors de la crise sanitaire. Elle est humiliée et bafouée par le système d’asile suisse, qui criminalise la migration, et qui envoie en prison des personnes qui fuient des pays ravagés par l’impérialisme des États occidentaux.
Ainsi, il nous faudra continuer à marteler que les vies des personnes noires comptent, et ce, dans tous les espaces politiques, syndicaux, et militants dans lesquels nous intervenons. À nous de participer à construire des mouvements sociaux larges, et des organisations politiques et syndicales qui ne laissent plus rien passer, et qui soient capables d’entendre et soutenir les luttes des communautés noires pour faire en sorte qu’elles ne soient plus soumises à de telles violences. À nous de relayer partout et tout le temps que les vies des noir·e·s comptent !
Anouk Essyad