Animal Crossing
Confiné·e·s en jouant au capitalisme apaisé
Le jeu vidéo Animal Crossing, sorti en plein confinement, connaît un succès retentissant. Ce dernier s’explique par l’aspect relaxant d’un jeu qui offre l’expérience d’une île déserte. Déserte mais pas sans marché.
Animal Crossing s’est vendu à près de 12 millions d’exemplaires pour le seul mois de mars. Il faut dire qu’il tombait à pic. Alors que des millions de personnes se retrouvaient confinées chez elles, dans un climat social et émotionnel pesant, Animal Crossing propose à chacun·e de concevoir sa propre île déserte, qu’il pourra décorer et même remodeler afin de profiter de sa propre échappatoire numérique idyllique.
Le jeu est relaxant car aucune forme de conflit ou de difficulté n’y existe. Chacun·e peut aller à son rythme sans risquer que sa maison s’écroule ou que l’île soit envahie. Le jeu offre une routine rassurante. Chaque jour, on prend un moment pour pêcher, arroser des plantes, etc. La liberté d’action du jeu a également rendu possible de multiples appropriations : de l’organisation de manifestations (pro-démocratie, gilets jaunes, etc.) à la visite de musées virtuels.
Dettes et spéculation
Animal Crossing ne se base donc pas sur la concurrence et la performance. Il affiche une innocence complète jusque dans l’apparence des villageois·e·s : des animaux tout mignons. Pourtant, y jouer à n’est pas si innocent que cela.
Le jeu introduit en effet des mécanismes capitalistes. Chaque construction implique de contracter une dette envers le raton-laveur responsable des infrastructures. Il existe également un système boursier : chaque dimanche, une porcelette vient vendre des navets. Le prix de revente de ceux-ci fluctuera durant la semaine. Cet aspect a fait germer différentes initiatives : site calculant le cours probable du navet en fonction des premières fluctuations, accès monnayé à une île où le navet se vend au prix fort. Les modèles de villageois les plus rares constituent une autre denrée s’échangeant contre rétribution. En jouant au capitalisme, on passe ainsi de l’innocence mignonne à la traite d’êtres humanoïdes numériques.
Au-delà de ces dérives, Animal Crossing offre globalement l’expérience d’un capitalisme apaisé où joueurs et joueuses doivent, pour obtenir l’île de leur rêve, contracter des emprunts et boursicoter dans un cadre où n’existe ni intérêts, ni risque de faillite. Un cadre parfait pour naturaliser les pratiques capitalistes.
Pierre Raboud