Centres fédéraux d’asile

Lieux de non-droit ?

Cinq personnes requérantes d’asile ont dénoncé et porté plainte contre des agents de sécurité de la société anonyme Protectas, mandatée par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) au Centre fédéral d’asile (CFA) de Giffers, dans le canton de Fribourg. 

Centre fédéral d’asile de Giffers, Fribourg
Le Centre fédéral d’asile de Giffers

Les victimes expliquent avoir subi des violences physiques et psychologiques de la part des agents de sécurité. Ces faits sont corroborés par les dires de quelques employés de Protectas qui ont souhaité témoigner, et qui ajoutent que la violence est présente et banalisée dans le centre. Les faits se déroulent en mai 2020, mais les violences ne sont pas si récentes. Malheureusement, il semble que cela soit monnaie courante. 

Abus des agents de sécurité

Au début du mois, Ali, résidant à Giffers et convalescent du Covid-19, demande aux Protectas de pouvoir entrer, c’est-à-dire s’annoncer, se faire fouiller, puis entrer. Après trente minutes d’attente, Ali, malade et ayant des vertiges, ose toquer à la vitre, derrière laquelle il aperçoit les agents de sécurité en train de discuter, ces derniers l’ayant vu dès son arrivée. Les Protectas, outrés par cette interpellation, le poussent au sol et le rouent de coups. Ali appelle la police qui lui répond qu’il doit lui-même négocier avec le centre. Il se rend à l’hôpital par ses propres moyens : le constat fait état de multiples contusions. À son retour au centre vers 22 h, les agents lui interdisent l’entrée : il doit dormir sur un banc à l’entrée.

Le même jour, Abdalim, à la suite d’une demande des Protectas d’aller en chambre, se fait pousser violemment contre une vitre et passe au travers, ce qui lui sectionne les tendons de la jambe. Malgré une opération, il peine encore à se déplacer avec des béquilles. L’explication des agents est qu’Abdalim a simplement perdu l’équilibre.

Le lendemain, Mohamed, requérant algérien souffrant d’épilepsie, est à son tour victime des mêmes Protectas. L’homme est sorti de sa sieste par les agents qui veulent fouiller sa chambre, déclarant qu’elle est sale. Mohamed se voit intimer de quitter la pièce lors de la fouille, ce qu’il refuse. Le ton monte, Mohamed décide d’en parler au directeur du centre, qui n’intervient pas. Lorsqu’il revient vers sa chambre, Mohamed est pris à part, les deux agents s’emparent de lui et le brutalisent, l’empêchant de respirer. Mohamed fait une crise d’épilepsie, il se réveillera à l’hôpital. Le constat médical fait état d’une agression par étranglement avec une marque au niveau du cou.

Un système qui favorise les violences

Ces agents de Protectas travaillent toujours dans le CFA de Giffers. Ali, Abdalim et Mohamed sont obligés de vivre avec leurs tortionnaires et de leur obéir. Le système des CFA est fondé sur la répression et l’isolement, qui favorisent les abus. Les histoires d’Ali, Abdalim et Mohamed sont d’ailleurs loin d’être inédites. Depuis la médiatisation de ces violences par les associations Solidarité Tattes et Droit de rester Fribourg, deux autres requérants ont osé raconter les violences subies.

Pour comprendre l’absurdité de ce système, il suffit de se pencher sur les chiffres. En effet, le budget attribué par la Confédération aux entreprises de sécurité dans les CFA est supérieur à celui dédié à l’encadrement social et sanitaire. Un·e Protecas, même après une formation, ne devient pas travailleur·euse social·e, mais reste un acteur répressif au service des autorités helvétiques.

Mettre fin à l’incarcération des exilé·e·s

Les CFA, isolant les requérant·e·s d’asile de la société civile et des collectifs de protection et de défense de leurs droits, dépendent des politiques racistes et sécuritaires de l’État suisse. Solidarité Tattes et Droit de rester Fribourg demandent, entre autres, une ouverture des CFA afin de rompre avec ce fonctionnement carcéral et ces zones de non-droit. Des faits similaires ont eu lieu contre les mineur·e·s du foyer de l’Etoile (GE) et contre les requérant·e·s du CFA de Bâle.

Les activistes zurichois, soutenus par Solidarité sans frontière et les Juristes démocrates de Suisse, ont porté plainte contre leur Canton et l’entreprise à but lucratif ORS pour leur mauvaise gestion de la crise sanitaire. Se trouve également dans cette plainte la dénonciation d’un « traitement dégradant des personnes exilées, qui sont considérées comme si elles étaient des êtres humains de seconde classe »

Les périls ne se situent pas uniquement hors des frontières Suisse pour les requérant·e·s ! Le système de l’asile suisse, et plus encore sa dernière révision, les met également en danger. 

Il faut s’opposer à la péjoration continue des conditions d’asile en Suisse et mettre en place une politique digne d’accueil des personnes en exil. Il est urgent de mettre un terme à la criminalisation des personnes venues trouver refuge en Suisse et aux violences qu’ils·elles subissent à tous les niveaux par les institutions de l’État suisse et leurs sous-traitants.

Célestine Waeber