Gagner la guerre du climat

L’essayiste Mark Alizart a publié début 2020 Le Coup d’État climatique. Ce petit livre polémique invite à penser sans concessions les implications politiques de la crise écologique. Décapant et stimulant.

Répression à Standing Rock, 2016
Attaque par la police du camp de Standing Rock, qui s’opposait à la construction d’un pipeline financé notamment par Credit Suisse, novembre 2016.

On peut faire l’hypothèse, de plus en plus raisonnable, que le capitalisme s’accommodera sans difficulté majeure de la crise climatique, y compris des catastrophes qu’elle risque d’occasionner selon les pires scénarios aujourd’hui envisageables. Planter quelques arbres en ville, généraliser les voitures électriques, encourager les énergies « vertes », la machine idéologique est désormais bien rodée pour nous convaincre que la réponse au défi écologique ne nécessite pas de rompre avec le mode de production capitaliste. Tout au plus faudrait-il aménager le système à la marge, avec la bénédiction des partis écologistes et des ONG expertes en greenwashing.

Rien de réjouissant dans ce tableau d’un capitalisme vert triomphant mais, si l’on en croit Mark Alizart, il se pourrait que le diagnostic politique de notre époque soit encore plus inquiétant. Et que le capitalisme ne se contente pas de se préparer au désastre à venir et aux quelques adaptations nécessaires, mais qu’il appelle la crise climatique de ses vœux.

À qui profite la crise climatique ?

Des États-Unis aux Philippines, en passant par le Brésil, la Chine et la Russie, la classe dirigeante ne se contente pas de rester passive, elle encourage l’utilisation des énergies carbonées et alimente activement la machine climato-sceptique. Bref, elle accélère les choses.

Car si la crise écologique fera des victimes, elle offrira aussi des occasions au « capitalisme du désastre », décrit par Naomi Klein, de s’étendre. La citation de Rosa Luxemburg en exergue du livre d’Alizart rappelle combien les crises en tout genre profitent à une minorité : « La catastrophe constitue l’élément vital et le mode d’existence normal du capital dans sa phase finale. » Alors, pourquoi ne pas hâter l’arrivée de la catastrophe et en tirer le maximum de profit ?

À la pointe de ce projet meurtrier, les Trump, Bolsonaro ou Orban savent que les profits seront aussi politiques. La crise permanente – on le voit avec la pandémie de Covid-19 – serait du pain béni pour les pulsions autoritaires. Provoquer la crise climatique pour justifier un durcissement de régime, voilà la nature du « coup d’État climatique » en cours.

Face au « carbofascisme »

Capitalisme et autoritarisme main dans la main, nous rappelle Alizart, c’est une définition du fascisme, alliance objective entre la grande bourgeoisie et celles et ceux qui, à tort ou à raison, pensent n’avoir rien à perdre et ne craignent donc pas la catastrophe, au contraire. Le monde s’apprête à rejouer le scénario des années 1930, quand le capitalisme a dû liquider ses stocks pour se perpétuer, et à assister à l’avènement d’un « carbo-fascisme », ou fascisme des hydrocarbures, selon l’expression du sociologue Jean-Baptiste Fressoz.

Si un tel parallèle est juste, alors il faut se demander comment réagir devant l’imminence de la catastrophe. Surtout, comment ne pas répéter les erreurs de la gauche européenne des années 1930, convaincue que le nazisme n’était qu’un symptôme du capitalisme agonisant, destiné à bientôt disparaître avec lui.

Reprenant l’analyse de Trotski de la séquence politique ayant mené Hitler au pouvoir, Alizart appelle à une prise de conscience : nous ne sommes pas au milieu d’une crise nécessitant un changement de modèle, nous sommes en guerre contre celles et ceux qui, structurellement, ont intérêt à ce que le climat se dérègle.

Que faire ?

Mais comment gagner cette guerre ? Toujours inspiré par Trotski, Alizart propose une stratégie dont certains aspects peuvent laisser perplexe. C’est le cas de son idée d’une « alliance tactique avec la technologie », autrement dit d’un traitement de la crise écologique par la technique. La littérature écosocialiste – en particulier les écrits de Daniel Tanuro – nous met pourtant en garde contre les mirages de la géo-ingénierie : on ne viendra pas à bout du dérèglement climatique avec des puits de carbone ou la production de bioplastiques.

Mais si l’on peut reprocher aux solutions avancées par Alizart de ne pas toutes être à la hauteur de son diagnostic, il faut en retenir un élément clé : l’espoir. Une politique humaniste ne peut pas se nourrir de nihilisme ni de résignation. Contre les pulsions de mort du carbo-fascisme, il faut enjoindre chacun et chacune à choisir son camp et, surtout, livrer la bataille idéologique. Et celle-ci ne sera gagnée que si l’écosocialisme promet des « lendemains qui chantent » à une humanité capable de prendre en main, collectivement, son destin.

Guy Rouge