Spleen frontalier

Les parents des trois personnages du roman Les Nuits d’été ont trimé dans une usine du Jura suisse. Elle·Eux essaient d’échapper au précariat.

Photo aérienne du Jura

Louise, Mehdi et Thomas ont grandi dans une zone pavillonnaire d’une ville française proche de la Suisse. Les deux jeunes hommes se sont fait embaucher comme intérimaires de nuit dans l’usine jurassienne Lacombe SA, celle-là même dans laquelle leurs pères ont travaillé toute une vie en échange d’une petite élévation sociale et du rêve de permettre à leur progéniture d’échapper à leur milieu social. Mais le monde a changé et cette perspective est bien lointaine.

Le livre évoque longuement l’aliénation du travail où l’humain n’est que l’extension de machines capricieuses et plus généralement la dureté d’une vie qui s’annonce comme succession de postes précaires. Dans ce contexte, la possibilité de la lutte collective semble impossible, car comme le dit Medhi : « Quand t’es intérimaire, t’as beau faire le travail d’un ouvrier, t’es pas un ouvrier. C’est un vieux mot de toute façon. Il est presque plus utilisé. Ton frère, il l’utilise. Parce qu’il doit rêver du communisme ou un truc comme ça.»

Échanger des baisers passionnés dans les terrains vagues derrière des zones commerciales ou dans des usines en ruine, danser sur des musiques tristes leur redonne un peu de l’énergie que leur labeur leur arrache.

Louise, qui s’en sort le mieux, écrit une thèse sur les travailleur·euses frontaliers·ères, celles et ceux à qui des Suisses « adressent des doigts d’honneur », se plaçant, par ce geste « du côté des chefs, de ceux qui dirigent les usines ». Ce roman mélancolique, parsemé d’éléments autobiographiques, donne à ressentir la dureté de vies que les initiatives xénophobes de l’UDC visent à rendre encore plus précaires.

Niels Wehrspann

Couverture du livre de Thomas Flahaut, “Les nuits d’été”
Thomas Flahaut, Les Nuits d’été, éd. de l’Olivier, 2020