Avions de combat

Les femmes comme faire-valoir de la campagne

Les partisan·e·s de l’achat d’avions de combat mobilisent l’engagement des femmes dans la sécurité pour appuyer leur campagne. Mais l’armée est-elle vraiment égalitaire ? Décryptage avec Stéphanie Monay, dont la thèse porte sur les femmes dans l’Armée suisse.

L’image de la campagne pour le oui à l'achat de nouveaux avions de combat
L’image de la campagne pour le oui

Concrètement, quelle est la place des femmes dans l’Armée suisse ?

À l’heure actuelle, l’engagement volontaire des femmes dans l’Armée suisse représente 0,7 % de l’effectif. La Suisse se caractérise par une très faible féminisation : les pays voisins affichent des chiffres plus élevés, comme la France, armée professionnelle, avec environ 15 % de femmes. L’Autriche, également sous le mode d’une armée de milice, dépasse quant à elle les 2 %. Selon mes données, elles endossent plutôt des fonctions militaires non combattantes.

L’armée utilise-t-elle fréquemment les figures féminines dans ses campagnes de communication ?

Cela dépend des périodes et des besoins de l’armée. Plus récemment, l’image de la femme militaire est publicisée notamment lorsqu’une pionnière, comme Fanny Chollet en 2019, endosse une fonction ou un rang militaire qui était jusqu’alors monopolisé par les hommes. Cela permet à l’armée de présenter un visage plus progressiste, cette institution étant plutôt reliée dans les représentations aux valeurs conservatrices.

Y a-t-il une véritable égalité de traitement entre femmes et hommes au sein de l’Armée suisse ?

L’armée se base sur une logique fortement méritocratique, fondée notamment sur l’égalité de traitement. Or, l’égalité de traitement n’est pas l’égalité des chances : les inégalités sociales ne sont pas compensées. Pour l’Armée suisse, si vous avez les capacités, vous pourrez accéder à toutes les fonctions, tous les rangs, toutes les responsabilités. Mais ces capacités sont construites sur un modèle masculin très « viril » : force physique, leadership, confiance en soi, etc. Dès lors, il est plus compliqué pour les femmes, socialisées en tant que telles, de répondre aux attentes de l’institution. Leur engagement se caractérise ainsi souvent sur le mode du surinvestissement.

Les femmes militaires rencontrent-elles des obstacles particuliers ?

Un des aspects qui compliquent particulièrement leur quotidien militaire est l’inadaptation des infrastructures et matériels aux femmes. Les femmes étant logées dans des chambres séparées des hommes, elles se retrouvent parfois isolées dans un bâtiment loin de la troupe. Dès lors, les informations leur parviennent difficilement. Lors de certains exercices, il n’y a pas de lieu d’aisance pour elles. Ou encore, elles se retrouvent noyées dans une combinaison anti-feu qui n’est pas disponible à leur taille.

Ces petits détails, mis bout à bout, compliquent la réalisation de leurs tâches et missions, alors qu’elles se trouvent dans un contexte déjà éprouvant physiquement et mentalement. Les femmes sont souvent considérées par les cadres comme des éléments de « problèmes organisationnels » : mais le problème c’est que l’institution a été pensée pour les hommes et qu’elle n’a pas adapté ses infrastructures à la présence de femmes.

De nombreux cas d’agressions sexuelles ont été dénoncés ces dernières années au sein des armées, notamment en France et aux USA : qu’en est-il ici ?

De tels phénomènes existent bien entendu dans l’institution helvétique, mais leur ampleur reste difficile à estimer. Selon moi, ils sont bien moins nombreux que dans le cas d’armées professionnelles, où l’entre-soi est plus important et où les forces militaires sont engagées dans des conflits. Ce qui semble certain, c’est que l’institution militaire peine à gérer les cas d’agressions sexistes et sexuelles, tout comme la police ou la justice. Le rapport fortement hiérarchique entre les membres y est pour quelque chose, tout comme les stéréotypes qui entourent les femmes militaires. Celles-ci sont sursexualisées, on leur prête des intentions d’ordre sexuel, avec des termes consacrés tels que Kompanie-­Matratze (« matelas de la compagnie ») et pléthore de rumeurs sur leur moralité.

À l’avenir, peut-on attendre des améliorations pour les femmes engagées dans l’Armée suisse ?

Le projet actuel de réorganisation de l’Armée suisse, le « DEVA », ne prévoit pour l’instant rien de particulier à l’intention spécifique des engagées volontaires. Des choses pourraient pourtant être appliquées, comme une procédure claire et neutre en cas d’agression sexiste et sexuelle, des infrastructures et du matériel adaptés, une formation renforcée des cadres aux enjeux d’égalité et de discriminations, etc. Mais tout cela induit bien sûr des dépenses.

Propos recueillis par Pierre Raboud