Les paysan·ne·s attaqué·e·s par le libre-échange

Michelle Zufferey, secrétaire d’Uniterre, interviendra lors du forum Stop Pillage ↗︎. Nous lui avons posé quelques questions sur les enjeux actuels de la paysannerie face aux accords de libre-échange (ALE).

Incendies à Rio Branco, Amazonie, Brésil, 20-08-2020
Les feux de forêts en Amazonie sont en partie causés par le besoin de produire plus de viande et de fourrage pour l’exportation. Rio Branco, Brésil, août 2020.

Un comité dont Uniterre est membre vient de déposer le référendum contre l’ALE avec l’Indonésie. Celui avec le Mercosur sera prochainement validé par le Parlement suisse, entraînant une nouvelle bataille référendaire. Quels sont les principaux problèmes de ces accords ?

Les ALE promeuvent une agriculture industrielle qui utilise des pesticides, néfastes pour l’environnement et les personnes. Ils renforcent les monocultures et la déforestation qui sont fatales à la biodiversité. De plus, le libre-échange implique le transport de produits sur de très grandes distances, ce qui a un impact sur le climat. Mais il y a aussi les impacts sur les paysannes et paysans, les petit·e·s cultivateurs·trices : perte de leurs terres par accaparement, contamination des eaux et des sols…

Ces ALE ne sont ni démocratiques, ni équitables. Ils sont négociés dans le plus grand secret, sans inviter les représentant·e·s du monde paysan et ouvrier, ni des organisations de défense des droits des personnes et de l’environnement. Ce sont bien les multinationales de l’agro-alimentaire qui y dictent leur loi.

Si un référendum contre le Mercosur est lancé, Uniterre le soutiendra, mais nous n’en serons pas les initiateurs·rices.

La récolte a-t-elle été facile ? Pensez-vous que le référendum pourrait gagner en votation ? Grâce à l’engagement des membres du comité référendaire, la récolte a été relativement facile. Mais je crois que de plus en plus de personnes sont sensibles à la question de l’huile de palme, par respect pour les droits humains et en raison d’une prise de conscience des enjeux environnementaux et de l’urgence climatique.

Pour que la votation soit également un succès, il faudra construire un large front de soutien de citoyen·ne·s, partis politiques et d’ONG. Nos adversaires ont d’immenses moyens financiers. Mais je veux croire que nous pouvons gagner !

La transformation de l’agriculture est vitale pour la préservation du climat et de la biodiversité. Les paysan·ne·s se sentent souvent montré·e·s du doigt. Comment réussir le passage à une agriculture respectueuse de l’environnement avec et non pas contre eux·elles ?

Les paysan·ne·s sont soumis·es à une très grande pression sur les prix. Ils·elles produisent souvent en dessous du coût réel de production. C’est injurieux ! À cela s’ajoutent la difficulté de négocier les prix et, souvent, le manque de transparence dans les filières. Les exigences qui leur sont posées sont toujours plus lourdes. Ils·elles sont fréquemment critiqué·e·s, pourtant ils·elles se conforment aux directives de la politique agricole, utilisent des produits qui ont été homologués « par l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG). En collaboration avec d’autres offices fédéraux et les stations de recherche agronomiques (…). En Suisse, l’homologation d’un produit phytosanitaire est l’aboutissement de procédures complexes visant la protection des utilisateurs et des consommateurs, ainsi que de l’environnement et des plantes utiles. Elle n’est accordée qu’aux produits dont la provenance, la composition, l’application, l’efficacité ainsi que les propriétés toxicologiques, écotoxicologiques et environnementales ont été soigneusement testées par le fabricant (je souligne) conformément aux critères définis par l’OFAG.» ↗︎

II faut un changement radical du système alimentaire ! Une politique agricole qui vise cette transition doit mettre en place des mesures d’accompagnement (recherche, conseils agricoles et appuis financiers) sur le moyen-long terme. Il faut avant tout payer aux paysan·ne·s un prix équitable pour leurs produits. Ce changement ne va pas se faire tout seul et nécessite un grand engagement de la part des parlementaires, des élu·e·s et de la société civile.

En ce qui concernent les mangeurs·euses, je pense que, tout d’abord, il y a lieu de comprendre le métier et ses contraintes et de développer des initiatives en y intégrant dès le départ les paysan·ne·s mais aussi les artisan·ne·s des métiers de bouche (transformation, restauration). 

Il faut se mobiliser aux niveaux communal et cantonal pour mettre en place des forums pour un autre système alimentaire, appliquer les principes de la souveraineté alimentaire, ce qui se fait déjà un peu en Suisse romande.

Il est important aussi de soutenir les paysan·ne·s en consommant local, de saison, en circuit court. Ce type de consommation doit être favorisé par les pouvoirs publics pour le rendre accessible à toutes et tous.

Il faut aussi faire pression sur la grande distribution et les multinationales. Leurs choix stratégiques ont des impacts humains, sociaux, environnementaux sur lesquels elles doivent rendre des comptes. Elles ne doivent plus pouvoir privatiser les bénéfices et socialiser les coûts environnementaux et sociaux. La même chose est valable pour les offices fédéraux.

Économiesuisse a fait un deal avec le président de l’USP: en échange du soutien de cette dernière à la campagne contre l’initiative «Multinationales responsables», la faitière des patron·ne·s adoucira à la marge les aspects les plus néolibéraux de la PA 2020. Les paysan·ne·s commencent-ils·elles à se rendre compte que la politique de la droite les mène dans le mur ?

Je trouve cela désolant et pas nouveau ! Revoyez le film Le génie helvétique (2003) ↗︎ de Jean-Stéphane Bron !

À part cela, je pense qu’un nombre croissant de paysan·ne·s se rendent compte que le système actuel les mène dans le mur. Iels constatent que la droite ne les soutient pas comme ils·elles s’y attendraient. Et s’étonnent souvent du fort soutien de la gauche (souveraineté alimentaire, référendum, etc.)

Une partie de la première conférence du Forum Stop Pillage traitera de l’impact de l’élevage sur le climat, que les accords de libre-échange vont aggraver. Quelle est votre position sur cette question ?

Tout d’abord, les transports d’animaux vivants et/ou débités à travers l’Europe et la planète est une aberration parce que les ALE, comme je l’ai dit, renforcent l’industrialisation de l’agriculture et de l’élevage. On connaît les effets dévastateurs de ce type d’élevage.

Il est vrai aussi que nous devons consommer moins de viande. Mais Uniterre n’est pas contre l’élevage. Il permet de valoriser des terrains en pente et le fumier des animaux est un amendement intéressant pour enrichir les sols. Il faut aussi que la plus grande partie des fourrages proviennent de la ferme ou des environs.

Propos recueillis par Niels Wehrspann