Grèce /  Turquie

Une fois encore au bord du gouffre guerrier

La Grèce et la Turquie se trouvent, à nouveau, au bord d’une guerre. Au-delà des aspects conjoncturels, la raison de fond est l’antagonisme pour les ressources d’accumulation de capital.

Exercice naval conjoint des armées française et grecque en Méditérranée orientale, août 2020
Exercice naval conjoint des armées française et grecque en Méditérranée orientale, août 2020

En temps de crise, cet antagonisme s’intensifie encore davantage. En particulier depuis que les fonds de la Méditerranée orientale (années 2000) se sont transformés en ressources potentielles exploitables.

La bourgeoisie grecque s’est empressée de former une alliance avec les États chypriote, israélien et égyptien pour exploiter les ressources éventuelles en Méditerranée orientale. Ceci avec le soutien de l’UE, un soutien y compris financier (en contradiction flagrante avec la rhétorique européenne en faveur d’une « transition climatique »). Notamment à travers le projet « East Med », impliquant la construction d’un oléoduc vers l’Union Européenne. Chypre a, par ailleurs, déjà procédé à des explorations, dans ces « Zones d’Exploitation Économiques » (ZEE), définies avec les autorités étatiques voisines du Liban, Israël et l’Égypte.

Stratégie d’exclusion

Tous ces projets s’inscrivent dans une stratégie d’exclusion de la Turquie qui est pourtant le pays avec les plus importantes frontières maritimes de la région. Cela reproduit, à une plus grande échelle, l’antagonisme gréco-turc qui existe en mer Égée depuis 50 ans (aggravant la conflictualité historique entre les deux pays). C’est en effet lors de la grande crise capitaliste des années 1970 que la mer Égée s’est transformée en terrain d’exploitation potentielle des ressources minières. Il s’agissait alors de la première course à l’exploitation de possibles gisements d’hydrocarbures.

Or, du point de vue d’une nature « exploitable », la mer Égée a une particularité unique au monde. Il suffit de regarder sur une carte pour s’en convaincre : la mer Égée est un passage entre la Méditerranée et la Mer Noire, avec de nombreuses îles qui appartiennent presque toutes à la Grèce. Une série de ces îles se trouvent juste en face de la frontière maritime turque. Dès lors, les diverses délimitations, maritimes ou ariennes (partage de responsabilités sur le sauvetage en mer, aviation civile, etc.), peuvent avoir une incidence disproportionnée sur les exploitations éventuelles des ressources – y compris traditionnelles, comme la pêche.

Dynamique guerrière

Depuis, la Turquie vit sous la menace grecque d’appliquer unilatéralement le « droit international » de 12 milles pour ses eaux nationales, qui transformerait la mer Égée en vrai « lac grec », interdisant de fait toute sortie vers la mer Égée des bateaux turcs et réduisant aussi le fond exploitable par la Turquie à des superficies ridicules (autour de 7 %).

Par ailleurs, la délimitation du plateau continental sous-marin (en gros la version traditionnelle de la ZEE) en mer Égée en dépend aussi. C’est pourquoi des incidents mineurs peuvent se transformer en une dynamique réellement guerrière. Les deux États s’étaient d’ailleurs trouvés en situation de quasi guerre en 1996 à cause d’un incident autour d’un rocher sans aucune importance (Imia/Kardak).

De plus, il y a aussi la traditionnelle rhétorique de la « souveraineté nationale » bafouée. L’État grec a par exemple décidé (en 1930 déjà) qu’il disposait d’un espace aérien qui dépasse de 4 milles son espace maritime. Depuis plus de 50 ans, les avions de combat grecs et turcs « jouent » à une forme de guerre dans cet espace contesté, présentée par les médias (et les forces politiques) de chaque pays comme des violations quotidiennes de leur « souveraineté nationale ».
La situation actuelle peut déboucher sur davantage de dangers. La Méditerranée étant plus vaste, les enjeux sont également plus importants, économiquement mais aussi en termes de dynamiques géopolitiques (par exemple en Libye où chaque pays soutient des belligérants différents). Aussi, ces tensions se déroulent sur fond de crise profonde, pour les deux pays, mais aussi pour toute la région et la « forteresse » UE : guerres et migrations, psychoses nationalistes, coronavirus, crise financière, restructurations des industries d’armes et de l’énergie impliquées directement dans la région.

Ces risques de menaces de guerre ne peuvent être stoppés dans l’arène du cannibalisme marchand. Seuls des mouvements populaires et sociaux peuvent renverser leur dynamique, jusqu’à – et y compris – par l’arrêt des forages sur toute la Méditerranée, en eaux nationales et internationales. Dans les deux pays, des mouvements sociaux et des organisations de gauche (même minoritaires) luttent pour ce type d’orientation politique. Cette situation encourageante doit passer par des formes d’organisations et de collaborations encore plus importante.

Tassos Anastassiadis