I May Destroy You, la série qui dénonce la culture du viol

La série, créée par Michaela Coel (qui y tient aussi le premier rôle) fait de son agression le point de départ d’une expérience sinueuse.

Image de la série I May Destroy You
Natalie Seery/BBC

C’est en 12 fois 30 minutes, entre Londres et Ostia, que se décline une vie à mille à l’heure où se côtoient glauque et légèreté, parfois dans la même séquence. Arabella Essiuedu, jeune écrivaine rendue célèbre par ses tweets, vit en citadine libérée. Un soir, elle rejoint un ami dans un bar où se profile une soirée ordinaire. Le lendemain, elle se réveille avec les symptômes habituels de la drogue du violeur : perte de mémoire, étourdissement, distorsion de la réalité.

La force de la série réside dans le fait qu’on vit ses symptômes avec elle, par ses yeux, et que rien n’est expliqué « du dehors ». Les réminiscences et les sensations précèdent la compréhension d’avoir été droguée et agressée sexuellement. Dans notre société, où la culture du viol invisibilise les victimes, Michaela Coel donne la place à la parole et à la réflexion de son personnage qui fait face à deux traumatismes : celui d’avoir été droguée et celui du viol.

Narration à la première personne

On vit avec elle différentes étapes : en rage, elle s’en prend à tou·te·s, suffoque, gère, se perd, change de tactique, se borne, crève de douleur et d’égoïsme, se remet en question. La série aborde également d’autres formes de violences et de « zones grises » d’agressions sexuelles sur des personnes hétérosexuelles ou non. Comme l’explique Iris Brey dans son livre Le Regard au féminin, un cinéma féministe, « c’est ressentir avec l’héroïne ». Le viol n’est ni édulcoré, ni exagérément brutal, ni érotisé. Sans voyeurisme, nous vivons le traumatisme et les réminiscences, mais la vie ne s’arrête pas.

De plus, quel plaisir de voir une série où tous les personnages principaux sont noirs. Selon Michaela Coel, qui amorce ainsi un débat sur le consentement, ils·elles « naviguent à travers leur vie sexuelle et sur la ligne entre libération et exploitation ». Elle nous invite à ne pas suivre Arabella aveuglément, s’inspirant de sa propre expérience pour créer une fiction cathartique adressé à d’autres victimes. L’action oscille sans arrêt entre l’absurde, le tendre et le pathétique de la réalité, présentant les identités des personnages comme autant de constructions sociales. En effet, si « I May Destroy You » suit des destins individuels, c’est pour mieux montrer la violence structurelle qui s’abat sur elles·eux.

Manon Zecca