Arménie

L’Azerbaïdjan embrase le Caucase

Dans la guerre actuelle opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ce dernier veut conquérir le territoire qu’il a perdu en 1994. Comment ce conflit a-t-il commencé ?

Rassemblement contre l’escalade militaire de l’Azerbaïdjan et de la Turquie contre l'Arménie, Berne, 30 septembre 2020
Rassemblement contre l’escalade militaire de l’Azerbaïdjan et de la Turquie contre l’Arménie, Berne, 30 septembre 2020

Le Karabakh, région montagneuse du Caucase, est disputé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Les autorités soviétiques lui ont donné le statut de « région autonome » mais l’ont placé au sein de l’Azerbaïdjan soviétique. Pendant la période des réformes de Gorbatchev, en février 1988, le Soviet local (parlement) du Karabakh, avec sa majorité arménienne, a voté pour être détaché de l’Azerbaïdjan et uni à l’Arménie soviétique voisine. Une semaine après ce vote, un pogrom anti-arménien a éclaté à Soumgaït, au nord de Bakou. La série de pogroms anti-arméniens s’est poursuivie, à Ganja (1989) et à Bakou (1990). Au moment de l’effondrement de l’URSS en 1991, les deux États nouvellement indépendants étaient déjà en guerre.

Une trêve fragile

La guerre a duré trois ans. Au moment de la signature du cessez-le-feu, en mai 1994, les forces arméniennes contrôlaient la majeure partie du Karabakh et des districts azerbaïdjanais alentour. Pendant 20 ans, ce cessez-le-feu a été maintenu sans la présence des forces de maintien de la paix, tandis qu’une activité diplomatique intensive était déployée pour trouver une solution politique au conflit.

En 2001, le président étasunien George W. Bush a invité ses homologues azéri Heydar Aliyev et arménien Robert Kocharyan à négocier. Les parties étaient proches d’un compromis : l’Arménie renonçait aux provinces azerbaïdjanaises et l’Azerbaïdjan reconnaissait l’autodétermination du Karabakh. Mais Aliyev, malade et affaibli, n’a pas réussi à convaincre son élite politique d’accepter ce statu quo. Deux ans plus tard, il mourut, passant le pouvoir à son fils Ilham et établissant la première (et seule) dynastie dans une ancienne république soviétique.

Le poids des pétrodollars

Avec l’arrivée au pouvoir d’Ilham Aliyev, l’Azerbaïdjan a commencé à exporter massivement du pétrole. D’énormes sommes de pétrodollars ont permis d’acheter la loyauté du peuple, mais aussi d’investir dans l’armement. Le budget militaire a explosé, passant de 300 millions de dollars en 2003, à 1 milliard en 2007 et 3 milliards en 2011 plus que le total du budget de l’État arménien. En 2019, l’Azerbaïdjan a pioché 2,2 milliards de dollars pour son armée, contre 630 millions pour le budget de défense arménien.

Les exportations de pétrole ont également octroyé à l’Azerbaïdjan une importance nouvelle sur la scène internationale : les chefs d’État ont désormais demandé à Ilham Aliyev de faire pression pour les intérêts de leurs sociétés d’hydrocarbures.

Le pétrole et les nouvelles armes ont incité un Ilham Aliyev enhardi à prendre des positions maximalistes au lieu de chercher un compromis. Maintenant, l’Azerbaïdjan réclame à la fois les territoires perdus pendant la guerre, ainsi que le Karabakh, sans rien proposer en retour. Ces positions agressives ont rendu la partie arménienne réticente à tout compromis. Résultat : depuis 2003, le processus diplomatique est paralysé.

Une guerre pour oublier la crise politique azerbaïdjanaise
L’Azerbaïdjan était autrefois un grand pays producteur de pétrole : en 1900, Bakou produisait la moitié du pétrole mondial. Mais la nouvelle ère du pétrole azerbaïdjanais n’a pas duré longtemps, car les réserves étaient épuisées ; au cours des cinq dernières années, la production de pétrole a commencé à décliner. L’effondrement du prix du baril a aggravé les problèmes budgétaires. La crise interne s’est accompagnée de tensions croissantes ; en avril 2016, l’Azerbaïdjan a lancé une attaque surprise au Karabakh, et la guerre de quatre jours a fait plus de 200 morts des deux côtés.

L’attaque lancée par l’Azerbaïdjan le 27 septembre est massive et menace de déstabiliser la région. Les dirigeants azerbaïdjanais ont non seulement choisi d’attaquer tout le long du front du Karabakh, mais aussi à l’intérieur de l’Arménie, ce qui pose le risque d’une guerre totale entre les deux États. L’Azerbaïdjan a également accueilli l’aviation turque et des drones d’attaque, et possèderait des avions de combat F-16. L’intervention de la Turquie dans le Caucase du Sud risque de déclencher une réaction de la Russie mais aussi de l’Iran, mécontent de voir les militaires turcs approcher de ses frontières. Sans compter les mercenaires syriens envoyés par Ankara pour participer aux opérations militaires.

Pour le moment, rien n’indique que la violence puisse cesser. L’Azerbaïdjan déclare que son objectif est de reconquérir le Karabakh par la force. Faute de pression internationale sur l’Azerbaïdjan ou la Turquie, la guerre pourrait continuer à tuer des milliers de jeunes soldats ainsi que des civils.

Vicken Cheterian