Initiative « Multinationales responsables »

Un premier pas timide mais nécessaire

Déposée en 2015, l’initiative « Pour des multinationales responsables » sera enfin soumise au vote ce 29 novembre 2020. En ancrant dans la Constitution le principe de responsabilité des entreprises multinationales suisses pour des violations commises à l’étranger, elle pose un nouveau garde-fou.

Village nigérian d'Ewekoro, pollué par la cimenterie de LafargeHolcim
La cimenterie de LafargeHolcim de Ewekoro au Nigeria empoisonne tout le village.

Déposée par une coalition de plus d’une centaine d’organisations de la société civile (syndicats, ONG, etc.), l’initiative « Pour des multinationales responsables » a pour objectif de permettre aux victimes de porter plainte contre les multinationales suisses qui commettraient des violations des droits humains ou environnementaux à l’étranger. Cela permettrait par exemple d’attaquer Glencore devant un tribunal civil suisse pour des affaires de pollution massive commises par une de ses filiales. Le site de l’initiative propose d’ailleurs quelques informations sur des cas emblématiques de violation extrêmement grave de droits humains et environnementaux.

Responsabilité des entreprises et diligence raisonnable

La notion de responsabilité des entreprises multinationales repose notamment sur les « principes directeurs des Nations-Unies », un ensemble de recommandations aux États membres qui propose des garde-fous à même de mettre les multinationales face à leurs responsabilités quant aux violations des droits humains et environnementaux. Ces principes, non contraignants en termes juridiques, reposent notamment sur le concept de « diligence raisonnable ». Cela se traduit dans les faits par l’idée que l’entreprise est responsable de s’assurer, par divers processus, que ses activités ne sont pas une menace pour les droits humains.

Par exemple, dans le cadre d’une pollution massive, un groupement des populations touchées du pays concerné pourrait attaquer l’entreprise multinationale devant un tribunal suisse en lui reprochant de ne pas avoir mis en place les audits et études préalables nécessaires. L’idée de l’initiative est donc de faire de ces « principes directeurs » une loi applicable en Suisse en ce qui concerne les multinationales au grand dam des milieux économiques qui préféreraient que ces principes restent des recommandations à suivre – ou pas – de manière volontaire.

L’esprit du texte de l’initiative repose donc sur l’idée que, lorsqu’une multinationale viole des droits humains et environnementaux à l’étranger, celle-ci doit prendre ses responsabilités. Présentée de cette manière, cette initiative relève du bon sens, ce que reflète le très large soutien accordé au texte. En effet, en plus des 130 organisations de la société civile qui ont porté ce projet, cette initiative a su faire passer son message largement : de la mobilisation de très nombreux et nombreuses bénévoles à la création de comités de soutien issus des églises et des milieux bourgeois, y compris un comité de parlementaires bourgeois et comité de patron·ne·s et d’ex-patron·ne·s. Même l’UDC Valais romand soutient le texte en argumentant qu’effectivement la torture et le travail des enfants ne sont pas des choses acceptables.

Des multinationales déterminées

De l’autre côté, la faitière patronale Économiesuisse, une majorité d’élu·e·s du PLR et de l’UDC, ainsi que les lobbys des multinationales s’y opposent. Entre les atermoiements du parlement qui a mis plus de quatre ans à traiter ce texte, les scandales autour des méthodes de lobbying des multinationales et le contre-projet alibi du Conseil fédéral concocté directement par la fédération Swiss­holding (qui comprend Glencore, Nestlé, LafargeHolcim), ils et elles ne se sont pas laissé faire. En effet, selon l’Office fédéral de la statistique, les multinationales étrangères ou suisses fournissent un quart des emplois en Suisse et savent se faire représenter auprès des personnes qui comptent. Il semble donc que l’idée qu’on les mette face à leurs responsabilités soit quelque peu dérangeante.

En conclusion, il s’agit d’un pas timide, un ajout juridique à un arsenal déjà trop faible pour que les victimes de ces violations puissent avoir accès à la réparation qui leur est due. En effet cet outil aura toujours moins de poids qu’une société civile forte et bien organisée dans les pays où ces violations interviennent. Il est également nécessaire que les États dans le Sud global comme dans le Nord global soient à même de contrôler efficacement les pratiques de ces multinationales. L’on peut également penser que le secteur des multinationales, dans l’état actuel d’un capitalisme néolibéral, ne pourra être complètement encadré. Il est également nécessaire de questionner la notion de droits humains, ce qu’elle recouvre et surtout ne recouvre pas.

Nonobstant ces critiques et interrogations valables, notre camp politique doit néanmoins appeler à voter oui le 29 novembre pour mettre un coup de marteau dans le mur de la toute-puissance des entreprises multinationales.

Maimouna Mayoraz