Entreprises responsables

L’artillerie lourde du capital contre l’initiative

Acceptée par 50,7 % des votant·e·s, le 29 novembre, l’initiative « Entreprises responsables » a été rejetée par une majorité des cantons. Elle échoue, puisque la double majorité 1 du peuple et des cantons n’est pas atteinte.

Paul Bulcke, PDG de Nestlé
Paul Bulcke, PDG de Nestlé, s’est personnellement engagé dans la campagne (assemblée générale de la multi­nationale, 2013)

La carte électorale semble confirmer le traditionnel Röstigraben. Mais la réalité est plus subtile : « Ce résultat traduit le clivage villes-campagnes : les grands centres urbains alémaniques ont aussi voté en faveur de cette modification législative. En revanche, les cantons de la Suisse profonde – les fiefs de la réaction udéciste où le PDC est aussi sur la même longueur d’onde que la formation blochérienne – ont refusé l’initiative » (Le Courrier, 30.11.2020).

Cette initiative était appuyée par 130 ONG, les Églises catholique et protestante, les syndicats, le PS, les Verts, le Parti bourgeois démocratique, le Parti évangélique populaire, les Jeunesses démocrates-chrétiennes, la majorité des Vert’libéraux, certaines sections du PDC, ainsi que deux comités de parlementaires « bourgeois » et de patron·ne·s ou ex-patron·ne·s – qui se sont avérés être « l’ombre de la bourgeoisie » (Trotsky). Sans participer au comité d’initiative, solidaritéS et le Parti du Travail ont appelé à voter oui. Sur le terrain, plus de 7000 bénévoles, organisé·e·s dans 450 comités de base, couvraient le territoire suisse.

L’initiative proposait de poursuivre (civilement, mais pas pénalement) les entreprises ayant leur siège en Suisse pour violations des droits humains et environnementaux commises par elles ou leurs filiales à l’étranger. Elle était combattue par Économiesuisse, l’Union suisse des arts et métiers (USAM), l’Union patronale suisse (UPS), l’Union suisse des paysans (USP), le Conseil fédéral in corpore et les partis gouvernementaux de droite (PLR, PDC et UDC). Pour ces milieux, vouloir moraliser le capitalisme suisse équivaut à revendiquer son expropriation !

Batailles de chiffres

À tout seigneur, tout honneur, en matière de fake news : Karin Keller Suter – conseillère fédérale PLR et ancienne démarcheuse de l’UPS – prétendait que 80 000 PME seraient concernées et que le contre-projet concocté par ses soins répondait aux objectifs de l’initiative. Le conseiller fédéral social-médiocrate Alain Berset a aussi participé à cette campagne en appelant sur les ondes de la radio romande au rejet de l’initiative. Cristina Gaggini, directrice romande d’Économiesuisse (qui avait injecté 8 millions de francs dans la campagne), a joué les vertus offensées en s’offusquant que son organisation ne puisse pas, cette fois-ci, écraser les adversaires par le poids de ses arguments financiers.

Autre argument brandi contre l’initiative : l’accusation de « néo­colonialisme ». À l’instigation de la politicienne vaudoise Isabelle Chevalley (Vert’libéraux), un ministre du Burkina Faso est venu en Suisse soutenir cette calomnie. Mais deux ONG (burkinabé et panafricaine) signalent que les déclarations de ce ministre contredisaient l’opinion officielle de son pays (qui prône à l’ONU un traité international réglementant l’activité des multinationales). Or, selon le site Heidi.news, Mme Chevalley est conseillère personnelle du président du Parlement burkinabé et titulaire d’un passeport diplomatique de ce pays. Une violation (dénoncée par le député socialiste Fabian Molina) de l’article constitutionnel interdisant aux élu·e·s suisses l’exercice de fonctions officielles et le port de décorations décernées par des pays étrangers.

Quelques signes d’une campagne tendue : dans L’Illustré (30.10.2020), l’ex-conseiller fédéral Pascal Couchepin (propagandiste des USA, dans les années 1980, contre la révolution nicaraguayenne) avait comparé, de manière injurieuse, Dick Marty (co-président du comité d’initiative) à Maximilien Robespierre (surnommé à juste titre « L’Incorruptible »). Mme Chevalley a porté plainte pour diffamation contre Heidi.news. Démarche similaire de Glencore, le 25 novembre, contre le comité d’initiative. À quoi s’ajoutent les plaintes annoncées du Matin Dimanche et du Schweizer Illustrierte pour la diffusion en tous ménages d’un entretien (paru dans ces journaux) avec Dick Marty. Que voilà de mauvais·e·s perdant·e·s !

Hans-Peter Renk

1 « Double majorité » Introduite dans la Constitution de 1848 (et jamais remise en cause lors des révisions constitutionnelles ultérieures), cette clause visait la conciliation avec les vaincu·e·s de la guerre civile de 1847 (dite « guerre du Sonderbund », voir Friedrich Engels, « La guerre civile en Suisse », solidaritéS nº 340). Donnant un poids disproportionné aux cantons conservateurs, elle a fait échouer neuf scrutins (dont une initiative de l’Union syndicale en 1955 pour la protection des locataires).