Dragula : Resurection

Objet télévisuel non identifié

Fin octobre 2020, les fans de culture queer et de performance drag voyaient débarquer Dragula : Resurection. Plongeons dans cet objet télévisuel étrange, bizarre et résolument queer !

Drag queen participant à DragulaResurection avec une pancarte black live matter
Priscilla Chambers présente sa performance sur le thême fantôme en hommage aux personnes trans racisées assassinées par la police.

Épisode spécial issu de la franchise télévisuelle Dragula qui compte déjà trois saisons, Dragula : Resurection avait pour objectif de « ressusciter » une artiste des saisons précédentes. Présenté par deux drag queen, The Boulet Brothers, dont l’esthétique semble inspirée par les méchant·e·x·s de film d’horreur, Dragula est un concours entre des artistes drag afin de gagner le titre de Supermonster (super-monstre), un peu comme dans The Voice ou Top Chef. Sauf qu’il s’agit d’artistes drag tentant de démontrer leurs maîtrises des catégories Filth (saleté), Horror (horreur, horrifique) et Glamour (glamour) à coup de prothèse en latex, de maquillage tous plus terrifiants les uns que les autres et de performances impliquant beaucoup de (faux) sang.

Un documentaire presque punk et une télé-réalité différente

Dragula : Resurection est un hybride entre une compétition de télé-réalité « classique », un documentaire et un roadtrip un peu effrayant. Tourné au États-Unis au printemps 2020, au plus fort de la pandémie du Covid-19, cet objet télévisuel à petit budget offre une évasion bienvenue. Même s’il ressemble parfois plus à un voyage halluciné et cauchemardesque qu’à une balade douce et légère.

On y rencontre six artistes de drag en compétition pour 20 000 dollars et une place dans la 4e saison de la franchise. Tou·t·e·x·s ont droit à du temps d’antenne conséquent leur permettant non seulement de partager leurs histoires mais aussi leurs techniques de construction de costumes et d’accessoires. Souvent marqué·e·x·s par l’homophobie, la transphobie et le validisme de la société étatsunienne, les protagonistes nous offrent leurs témoignages avec beaucoup de sensibilité. Il est à noter que cette franchise est bien plus inclusive que sa grande rivale, RuPaul’s Drag Race. En mettant en avant des performeuses trans et non binaire et même des personnes assignées femmes à la naissance, les Boulet Brothers proposent une vision inclusive et libre de l’art du drag. Au-delà de la représentation, nécessaire mais non suffisante, ils portent le message d’une réelle volonté de changement. La performance d’une des candidate·x·s rendant hommage aux personnes trans racisé·x·e·s tué·e·x·s par la police en est un exemple édifiant.

Je serai un monstre si je veux

Au-delà de la forme, on peut s’interroger sur l’existence même de cette sous-culture queer représentée au sein de la franchise Dragula. En effet, cette esthétique effrayante, dérangeante, tenant bien plus du freak show que des reines de beauté habituellement célébrées au sein de la culture drag, a de quoi surprendre.

Néanmoins, les liens entre culture queer et les esthétiques horrifiques ne sont pas nouveaux. Les Boulet Brothers expliquent cet attrait en s’appuyant notamment sur les travaux d’Harry M. Benshoff, par une identification des personnes queer avec les personnages de méchant·e·s dans les films d’horreur. En effet, il n’est pas difficile d’imaginer comment une personne queer, victime de l’homophobie et de la transphobie structurelle, se sentant rejeté·e·x et incompris·e·x, parfois même dégoutante·x peut s’identifier à des monstres eux aussi stigmatisés. Le « queer coding » – la mise en scène des personnages monstrueux avec des codes non hétérosexuels – présent dans les films d’horreur renforce encore l’identification.

Unapologetically queer (résolument queer)

Dans ce contexte, l’existence de cette scène freak et la fascination qu’elle exerce sur une partie de plus en plus grande de la communauté queer, n’a rien d’étonnant. Incarner l’individu dégoûtant, effrayant les « gens normaux », mais puissant, ressemble fort à une sorte de libération et d’émancipation. Revendiquer une forme de monstruosité pourrait tout à fait se lire comme un doigt d’honneur à une société injuste et réactionnaire. Par conséquent, rien d’étonnant non plus à ce que cette esthétique emprunte de nombreux codes à la culture punk.

Ce ne sera pas la tasse de thé de tout le monde, ce qui n’est pas surprenant dans le cadre d’une esthétique qui vise à faire peur et à déranger. Néanmoins, cette débauche de faux sang, de queerness revendiquée et de monstres mythologiques offre un réel bol d’air frais par rapport aux autres émissions du même genre. En effet, en refusant de se rendre acceptables pour le grand public, les Boulet Brothers et leurs super-monstres, nous offrent un bel hommage à une culture queer et à des performeur·eus·e·x·s qui s’assument dans toutes leurs bizarreries et leurs étrangetés. Et c’est jouissif !

Maimouna Mayoraz

Disponible sur le site de streaming Shudder