Pas ma renaissance

Opération renaissance : c’est ainsi que la chaîne française M6 a intitulé l’émission qui suit des personnes grosses ayant recours à la chirurgie bariatrique pour perdre du poids. En suggérant qu’elles doivent « renaître », l’émission contribue à rendre leur existence illégitime.

L’un des badges produits par le collectif Gras Politique
L’un des badges produits par le collectif Gras Politique

Je m’appelle Anaïs, j’ai 30 ans, je suis grosse (obésité morbide pour les médecins qui pratiquent l’IMC et pour satisfaire la curiosité malsaine de certain·e·x·s) et je vais vous parler de grossophobie, plus précisément de la nouvelle émission de M6 : Opération renaissance

La grossophobie c’est quoi ? C’est l’ensemble des attitudes de stigmatisation, de violences et de discriminations (verbales, morales, physiques, institutionnelles) envers les personnes considérées comme grosses, hors des normes établies par la société occidentale, blanche et patriarcale.
L’émission télévisée Opération renaissance reproduit ces violences, ce que dénonce inlassablement le collectif français Gras Politique. Leur pétition réclamant son annulation a recueilli à ce jour près de 28 000 signatures.

Un voyeurisme dangereux

Mais alors, qu’est-ce qui ne va pas avec Opération renaissance ? Premièrement, l’émission est présentée par deux personnes qui, non seulement ne sont pas concernées, mais qui en plus ont déjà fait preuve de grossophobie à l’écran. Elles ne comprennent pas les problématiques qui touchent les personnes grosses et n’ont donc aucune légitimité pour en parler. De plus, l’émission véhicule des idées reçues et présente la minceur comme seul et unique objectif souhaitable dans la vie d’une personne grosse. 

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la chirurgie bariatrique est une opération conséquente, non seulement physiquement mais aussi moralement. De l’aveu même de la présentatrice et productrice, qui espérait ainsi répondre à celles et ceux qui lui reprochent d’idéaliser la chirurgie bariatrique, « sur dix candidat·e·s, j’en ai cinq en dépression, un qui est devenu alcoolique, une qui a failli mourir au bloc, si c’est ça enjoliver la réalité… » Les rares statistiques à ce sujet confirment cette tendance: la chirurgie n’a rien d’une solution miracle.

Devenir visibles

Selon l’OFSP, 11 % de la population adulte est grosse en Suisse. Leur poids peut être leur combat, ou pas, mais c’est leur choix !
Aujourd’hui, on parle de visibilisation parce que les corps gros ne se voient que peu, souvent relégués à la maison en raison des discriminations et de la stigmatisation dont ils sont les objets dans l’espace public.  Ainsi, la représentation est importante, mais il faut qu’elle soit bienveillante et véhiculée par les personnes concernées.

En dénonçant cette émission, nous ne jugeons pas les personnes qui font de la chirurgie bariatrique; nous jugeons la manière dont cette émission est mise en scène. Nous nous battons tous les jours pour la visibilité de nos corps, pour pouvoir disposer de l’espace public sereinement et pour une prise de conscience collective, afin de mettre fin à la grossophobie. 

Notre poids n’est relatif ni à notre santé, ni à ce que nous sommes et les généralités ne sont pas les bienvenues. L’obésité est un sujet beaucoup plus vaste que ce que laisse penser cette émission, ce n’est pas qu’une question d’alimentation. L’OMS la définit comme une maladie chronique et multifactorielle (alimentation, environnement, facteurs hormonaux, neuro-hormonaux ou génétiques). 

Vivre avec le poids de la société

L’obésité, c’est aussi une préoccupation de tous les jours en lien avec son corps et sa place dans la société. Aujourd’hui, le but est de pouvoir dire que vous êtes tou·te·x·s accepté·e·x·s comme vous êtes ! Si vous voulez changer, faites-le, si vous ne voulez pas, tant mieux.
Cette émission me rend triste : elle me rappelle que je ne suis pas considérée comme jolie, ni la bienvenue dans les avions (je suis obligée de prendre deux places), dans les restaurants et lieux assis (je ne rentre jamais dans les chaises), dans les ascenseurs, dans les toilettes, dans les baignoires, sur les sites de rencontres (on me fétichise), sur les réseaux sociaux (on m’insulte), dans le bus quand je mange sur le pouce (on me regarde), à la piscine (parce qu’on me regarde, encore…), dans les séries et les films (où on fait des blagues sur les gros·se·x·s) et à la télé (parce qu’on me dit que je dois changer et que c’est une « renaissance »). 

La renaissance, c’est la société qui doit la vivre et l’appliquer. Nous vivons avec nous-même et le poids de la société tous les jours, alors oui, aujourd’hui, nous en avons marre. Si c’est le chemin que choisissent certain·e·x·s, ce n’est pas en soi une « renaissance » que de subir une opération lourde. Ce n’est pas ma renaissance. J’y ai pensé. Et je comprends les personnes qui y ont recours. Mais présenter cela en prônant que la minceur = bonne santé, c’est dire à toute l’audience de M6 que les gros.se.x.s ne devraient pas exister. Nous existons et nous existerons toujours !

Anaïs Potenza

Pour aller plus loin : Daria Marx et Eva Perez-Bello, Gros n’est pas un gros mot, Librio (2018)