50 ans d'une démocratie moins incomplète
C’est un drôle de « jubilé » auquel nous assistons. Pour les 50 ans du droit de vote des femmes, nous souhaitons célébrer cet anniversaire avec une joyeuse colère. Celle-là même qui nourrit les luttes féministes présentes et à venir, et non avec le satisfecit de Karin Keller-Sutter qui, elle, célèbre avec d’autres bourgeois·es la naissance d’une « démocratie complète ».
En quoi peut-on parler d’une démocratie complète quand 25 % des habitant·e·s qui vivent et paient des impôts en Suisse ont juste le droit de se taire ? Quand seul l’argent – qu’on a ou qu’on n’a pas – décide de qui a la parole et qui ne l’a pas lors des campagnes politiques précédant les scrutins ? Quand les lois favorables aux femmes, aux personnes trans* et non binaires peinent à émerger ? Ou pire, restent souvent lettre morte lorsque des mobilisations réussissent à les arracher.
La Constitution de 1848 postulait « l’égalité des droits » noir sur blanc, mais la révolution bourgeoise ne reconnaissait que les hommes comme citoyens à part entière. Et encore, ce n’était pas le cas de tous. L’acteur politique était masculin, financièrement indépendant. Les pauvres et les femmes n’avaient, elles et eux, pas droit au chapitre.
Plus d’un siècle durant, les hommes ont refusé le droit de vote et d’éligibilité aux Suissesses, quels que soient leur travail ou leur fortune. Pendant plus de 90 votations, les hommes utiliseront le droit de vote, qu’ils détiennent depuis 1848, pour refuser ce droit aux femmes ! Si leur mari les autorisait à exercer un métier, elles avaient, à l’instar des immigré·e·s aujourd’hui, l’obligation de payer des impôts. Par contre, elles n’avaient ni le droit de faire entendre leur voix dans les urnes, ni celui de se présenter sur une liste électorale. Solidement ancré dans la tête des hommes et bien articulé au capitalisme, le patriarcat ne cédait pas d’un pouce face aux luttes féministes menées aussi bien par les ouvrières, les intellectuelles que par des femmes bourgeoises qui ne pouvaient admettre d’être ainsi mises à l’écart de la vie politique.
Pendant près de 100 ans, de nombreuses femmes de toutes les classes sociales se sont impliquées corps et âme dans cette lutte acharnée pour la reconnaissance de leurs droits civiques. Grâce à toutes les féministes actives, Rosa Bollag-Bloch, l’unique femme du Comité d’Olten, réussira notamment à faire inscrire la revendication du droit de vote des femmes sur la liste des exigences de la grève générale de 1918. Mais il faudra encore bien des luttes avant que la majorité des hommes suisses ne cède.
Le patriarcat a la peau dure, mais fini le temps consensuel où l’on nous faisait chanter l’hymne national à l’école à la gloire de « notre démocratie si parfaite ». Aujourd’hui les femmes, toutes générations confondues, sont dans la rue, bien décidées à ne plus se laisser faire. Cet aspect est malheureusement souvent mis de côté par les médias dominants dans leurs célébrations des 50 ans du droit de vote des femmes. Les reportages n’évoquent que rarement les luttes féministes de l’époque pour se concentrer presque exclusivement sur les trajectoires individuelles de certaines « pionnières ». Or c’est bien par la mobilisation de collectifs féministes que ce droit a pu être conquis et que d’autres continuent et continueront de l’être.
La rédaction