Des émissions négatives positives ?
Pour atteindre la neutralité carbone, le Conseil fédéral mise sur de nouvelles technologies « d’émissions négatives » plutôt que d’acheter des « permis de polluer » à l’étranger pour compenser les émissions résiduelles de CO₂. Mais cette stratégie est-elle crédible ?
L’expression « émission négative » est trompeuse. Elle occulte la production de gaz à effet de serre (GES), qui devrait être capté afin d’éviter sa libération dans l’atmosphère et contribuer à l’accélération du réchauffement climatique. « Capture et stockage du carbone » (CSC) est plus appropriée, car elle décrit exactement ce mécanisme.
Contrairement aux processus de captages naturels (forêts, océans), les mécanismes technologiques de CSC peuvent avoir un effet immédiat et être mis en route rapidement, nous rappellent ses partisan·ne·s.
Cette efficacité technologique repose sur un captage immédiat à la source, puis sur son transport vers un lieu de stockage souterrain (anciens puits de pétrole, mines ou pipelines abandonnés). Une étude estime qu’une centaine d’entreprises sont responsables de 71 % des émissions mondiales, la moitié des émissions proviennent de 25 % entreprises. De ce fait, le périmètre d’intervention à la source est effectivement un des grands avantages du CSC, ainsi que son adéquation à maintenir l’appareil industriel.
Continuer à produire du CO₂ ?
C’est l’un des paradoxes du CSC. Justifiée par l’urgence à respecter les objectifs de neutralité d’émissions des GES, elle peut contribuer à maintenir une économie marchande, productiviste, conforme à une croissance continue et une motivation par le profit. La plupart des partisan·ne·s du CSC portent un projet économique parfaitement compatible avec l’économie capitaliste. La technologie CSC permet ainsi la continuation de la consommation des carburants fossiles à large échelle.
Une autre solution souvent avancée se révèle quant à elle irréalisable dans la pratique. La fabrication d’électricité à partir de matériaux naturels (BECSC) dans des centrales fonctionnant à partir de biomasse, substitués aux énergies fossiles, requiert des surfaces agricoles gigantesques. Ainsi il a été estimé que pour compenser la totalité des énergies fossiles consommées aujourd’hui, la surface consacrée à la production de biocarburants représenterait l’équivalent de la moitié du territoire des États-Unis. En outre, cette solution réduirait sensiblement les surfaces agricoles et contribuerait à maintenir une agriculture mono-industrielle. Nous sommes très loin d’une utilisation rationnelle de la terre. Quant à la technique de captage direct dans l’air, elle demeure pour l’instant très coûteuse.
Le défi pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique est de laisser 70 à 80 % des carburants fossiles sous terre. Cela implique inévitablement une réduction de la production énergétique dans une société de sobriété énergétique. L’élimination d’industries nuisibles, comme l’industrie d’armement, est une nécessité. Aux États-Unis ce secteur représente environ 10 % du PIB et est très gourmand en énergie et en matières premières.
La réduction de la mobilité automobile, la relocalisation des marchandises produites et transportées sur de très longues distances représentent aussi un fort potentiel d’économies en énergie. Ce ne sont que quelques exemples parmi d’autres.
Solaire, éolien, hydraulique
L’utilisation des énergies renouvelables devrait constituer la colonne vertébrale de toute politique énergétique visant la réduction drastique d’émissions de GES. Le potentiel du solaire, de l’éolien et de l’hydraulique dans les océans est immense. Ces modes de production peuvent se combiner et peuvent être déployés localement à petite échelle ou dans des centrales de production. À l’évidence, la carte de la production énergétique devra être revue pour déployer ces technologies. Cela représente aussi une opportunité de lutter contre la pauvreté et la dépendance de beaucoup de pays. Par exemple, l’Afrique saharienne pourrait devenir un grand producteur d’électricité et d’hydrogène. Beaucoup de pays disposant de grands périmètres maritimes bénéficieraient de l’usage des ressources hydrauliques et éoliennes.
L’élimination du carbone par la CSC pourrait ainsi être envisagée pour une période de transition dans une situation d’urgence. Mais la CSC ne saurait se substituer à des politiques de décarbonisation basées sur de profonds changements dans le monde de la production et de consommation, librement décidés et consentis dans le cadre d’une nouvelle planification des besoins. Cet horizon possible doit s’appuyer sur d’autres méthodes que la CSC.
José Sanchez