Birmanie

L’inextinguible colère dans la rue

La force du mouvement populaire de désobéissance civile en Birmanie ne faiblit pas. La junte militaire réprime les manifestations de centaines de milliers de personnes avec une violence accrue, le nombre de victimes par balles ne cesse d’augmenter.

Dèng Jiā Xī, Birmanie, 3 mars 2020
Dèng Jiā Xī, 19 ans, a été tuée par la police mercredi 3 mars 2021

Cela aurait dû être une simple parenthèse. Après leur déroute aux élections de 2016, qui avait ouvert une nouvelle période de démocratie et de liberté, les généraux birmans étaient convaincus que les élections de 2020 allaient les remettre à nouveau aux commandes de l’État. D’ailleurs ils comptaient déjà des avantages politiques exorbitants inscrits dans la Constitution. Un quart des députés sont acquis d’office à l’armée, qui occupe aussi trois ministères clés (défense, intérieur, frontières). 

Aung San Suu Kyi toujours très populaire

Surtout, les chefs militaires pensaient que la dirigeante Aung San Suu Kyi était politiquement affaiblie par son attitude passive devant les massacres perpétrés contre la minorité musulmane des Rohingya. Au fil des mois, les compromis de la dirigeante étaient devenus compromissions. Enfin, une partie du sangha (clergé) s’était opposée aux réformes qui auraient pu affaiblir financièrement la puissante institution religieuse (500 000 moines pour une population de 53 millions d’habitant·e·s). 

Très présents dans les protestations de 2007, restées dans l’histoire comme la « révolution safran » (couleur des robes des bonzes), les moines sont aujourd’hui moins impliqués dans le mouvement d’opposition au coup d’État du 1er février. Car une partie du sangha exprime ouvertement des orientations extrémistes religieuses et nationalistes. Une organisation de « défense de la race et de la religion » dirigée par des moines défendait une Birmanie bouddhiste menacée par une « invasion » islamique. Cette orientation avait déclenché des émeutes et couvert les militaires dans leur féroce répression de la communauté musulmane dans l’État de l’Arakan en 2017, la forçant à un exode massif et dramatique au Bangladesh voisin. Aung San Suu Kyi avait tergiversé, minimisé, ne condamnant pas les exactions et refusant le terme « nettoyage ethnique ».

Malgré ce contexte que les militaires pensaient favorable à leur retour aux commandes, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) remportait le scrutin du 7 novembre 2020 avec plus de 83 % des votes. Le putsch du 1er février empêchait Aung San Suu Kyi de reprendre ses fonctions. À la place, le Comité d’administration de l’État (CAE) mis en place par les auteurs du putsch déployait son arsenal répressif (nouvelles lois, arrestations, démonstrations de force), l’armée étant de plus présente sur le terrain et prenant une part plus active dans les affrontements.

Les maîtres du pays

L’armée birmane a une longue histoire de violence. Une junte militaire a brutalement dirigé le pays de 1962 à 2011. Les armes des militaires avaient répondu aux grandes manifestations antijunte en 1988, provoquant des milliers de morts. La figure d’Aung San Suu Kyi, fille du chef de la lutte contre le colonisateur britannique, devenait l’emblème de cette opposition.

Les juntes militaires ont suivi les méthodes du grand ami chinois après Tian’anen. Face aux sanctions économiques internationales, la part des importations chinoises a bondi de 20 % à 33 % de 1988 à 2011. La clémence de Pékin est toujours intéressée…

L’exercice direct du pouvoir par l’armée explique en grande partie l’importance de la corruption dans le pays. Taxes, autorisations, licences dans les secteurs du tourisme, de l’exploitation de pierres précieuses et de la construction découlent de décisions politiques. La hiérarchie militaire prélève son dû au passage, notamment à travers son contrôle de deux grands conglomérats industriels (MEC et MEHL, dirigés par le général Min Aung Hlaig). Les militaires sont les maîtres économiques du pays, ce qui explique la vigueur avec laquelle ils s’accrochent au pouvoir, source de profits faramineux.

En réaction au coup d’État, une nouvelle génération citoyenne s’exprime et se mobilise, surtout dans les zones urbaines. Ayant fait l’expérience des droits et des libertés démocratiques, elle occupe la rue et ne refuse pas la confrontation avec les forces de police, faisant preuve de courage et de détermination. Cette génération est un espoir pour la grande majorité de la population du pays. 

La junte militaire a toujours régné en maintenant une grande pauvreté, surtout dans les campagnes. Une des clés de la poursuite et du renforcement du mouvement serait d’ajouter des revendications économiques et de justice sociale aux revendications démocratiques. Déjà, une grève d’employé·e·s du secteur aérien a perturbé l’aéroport de Rangoun et des policiers font défection. Les troupes resteront-t-elles insensibles à ces évènements ?

José Sanchez