Sénégal

Au Sénégal, le peuple se lève contre l’impérialisme

Le pays est secoué par de larges manifestations suite à l’arrestation d’Ousmane Sonko et de plusieurs autres opposant·e·s politiques. La confrontation avec la police a causé la mort de huit personnes, ainsi que des dizaines de blessé·e·s par balles… françaises.

Ignazio Cassis et la ministre des Affaires étrangères sénégalaise Aïssata Tall Sall, Dakar, 10 mars 2021.
Ignazio Cassis reçoit un cadeau de la ministre des Affaires étrangères sénégalaise Aïssata Tall Sall lors de sa tournée africaine, Dakar, 10 mars 2021.

Le Sénégal est dirigé depuis 2012 par Macky Sall, proche des classes dirigeantes françaises. Depuis son indépendance, le pays se trouve dans le giron de la France, un de ses plus importants « partenaires » commerciaux. Le site du Trésor français nous apprend ainsi que pour 2017, les principales catégories de produits importés du Sénégal étaient les préparations à base de produits de la pêche (28 %), les fruits et légumes (13 %) et  les produits de la pêche et de l’aquaculture (11 %), à savoir des matières premières peu ou pas transformées. Par contraste, « les exportations françaises à destination du Sénégal se composent principalement de préparations pharmaceutiques (18 %) ».

Par ailleurs, les habitant·e·s utilisent le franc CFA (solidaritéS n° 315), instauré par De Gaulle au moment de l’indépendance. Plus récemment, les accords de partenariat économique entre l’Union européenne et les pays Afrique-­Caraïbes-Pacifique avaient suscité l’indignation de la population.

La figure d’Ousmane Sonko

Dans ce contexte, il n’est guère surprenant qu’Ousmane Sonko apparaisse comme le principal opposant au pouvoir. L’homme, arrivé troisième aux présidentielles de 2019, préconise un « patriotisme économique » face à la mainmise étrangère sur les ressources du pays.

Or, le 3 mars dernier, le député a été arrêté et inculpé pour troubles à l’ordre public et participation à une manifestation non autorisée. Il a finalement été relâché le 8 mars. Ousmane Sonko a été accusé de viols, accusation qu’il rejette. Pour lui et ses soutiens, il s’agirait d’une manœuvre pour écarter une figure qui gêne le pouvoir, notamment en vue de la présidentielle de 2024. L’arrestation d’autres militant·e·s tendrait à conforter cette hypothèse. Quoi qu’il en soit, ces arrestations ont donné lieu à de larges manifestations, violemment réprimées par la police. Les Sénégalais·es ont notamment visé les symboles de l’impérialisme français : supermarchés Auchan « pillés », enseignes de stations-services Total ou agences Orange « vandalisées », pour reprendre le lexique accusateur de la presse francophone.

Des armes françaises utilisées 

À ces manifestant·e·s, l’État postcolonial sénégalais répond par des armes françaises. Le journaliste Maxime Reynié montre ainsi que plus de treize produits (lacrymogènes, flashball, munitions ou même blindés) de marques françaises ont équipé les forces de l’ordre sénégalaises.  

On voit bien comment les deux dimensions de l’impérialisme identifiées notamment par l’économiste Claude Serfati s’articulent : d’un côté, la mainmise économique passe par des échanges commerciaux inégaux (exportation de matières premières et importation de biens à forte valeur ajoutée) et l’imposition d’une monnaie avantageant la France. De l’autre, l’ancien colon participe de manière décisive à la répression, par la diffusion de ses pratiques et outils de maintien de l’ordre et la présence de militaires français. Rappelons que l’armée française dispose de bases au Sénégal et que plusieurs centaines de soldats y sont actuellement déployés dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme ». Ainsi, les manifestant·e·s font maintenant face au complexe militaro-industriel français, pour reprendre les mots de Serfati. 

Et la Suisse ?

Sur le site de la Confédération, on apprend que « la Suisse est […] le 2e partenaire du Sénégal pour les exportations, après le Mali [et juste avant la France]. En 2019, le volume des échanges s’élevait à 618 millions de francs suisse. La Suisse a exporté des machines non-électriques, des produits pharmaceutiques, des produits textiles et des véhicules. »

Comme pour la France, elle exporte ses biens à haute valeur ajoutée, mais contrairement à sa voisine, elle ne s’y implique pas au niveau policier ou militaire. On retrouve donc ici une caractéristique du puissant impérialisme helvétique : opérer dans le sillage des grandes puissances, en se légitimant par son activité « humanitaire » et ses « bons offices ».

Contre l’impérialisme, le panafricanisme

Face à ce puissant arrangement politico-économique, faudrait-il mettre en place, comme le préconise Sonko, des politiques de patriotisme économique ? L’idée semble séduire les Sénégalais·es. On peine toutefois à voir comment les puissances impérialistes s’accommoderont d’un tel affront, venant d’un seul pays. Par contraste, le panafricanisme fait le constat d’une situation d’asservissement commune, et vise donc une lutte commune pour la souveraineté économique, culturelle et politique du continent et de sa diaspora… Il s’agit alors, par les mobilisations et les liens internationaux, de s’attaquer à cette dimension cruciale du capitalisme français (et suisse !) en déstabilisant ces puissances là où leurs intérêts économiques sont les plus marqués : en Afrique (et plus largement dans le Sud global). 

Anouk Essyad