Le château d’eau vacille

L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) a rendu un rapport inquiétant sur les effets des changements climatiques sur les eaux suisses. Mais la Confédération continue d’ignorer la protection qualitative et refuse de tracer une planification hydrique nécessaire.

Château d’eau à Bardonnex, Genève
Château d’eau à Bardonnex, Genève

L’ Office fédéral de l’environnement (OFEV) a rendu un rapport inquiétant sur les effets des changements climatiques sur les eaux suisses. 

Mais la Confédération continue d’ignorer la protection qualitative et refuse de tracer une planification hydrique nécessaire.

La perturbation du climat par l’utilisation de carburants fossiles va avoir un impact sévère et très concret en Suisse. Sans mesures pour mettre en force les accords de Paris, le rapport Hydro–CH 2018 prévoit que les débits des cours d’eau varieront en moyenne de + 30 % en hiver à –40 % en été. La variabilité géographique et saisonnière exigera des systèmes d’irrigation plus importants et provoquera des pénuries locales. La hausse de température des eaux aura des conséquence graves sur la biodiversité des milieux aquatiques déjà fortement détruits.

L’agriculture et les barrages en danger

La place industrielle et financière suisse doit beaucoup à sa situation hydromorphologique qui a permis très tôt le développement de l’hydroélectricité, d’industries lourdes malgré l’absence de charbon, ainsi que l’électrification des chemins de fer. Aujourd’hui, la Suisse se distingue par une utilisation de l’eau dévolue à l’industrie exceptionnellement élevée (31 %) et une part pour l’instant faible dévolue au secteur primaire (19 %). La consommation des ménages diminue depuis les années 1970. À titre de comparaison, en moyenne globale, c’est 70 % de l’eau douce qui est utilisée pour l’agriculture. Sans mesures fermes contre le réchauffement climatique, l’agriculture deviendra la première consommatrice avec des risques de pénuries sur tout le Plateau, du Gros-de-Vaud à la Thurgovie. Les barrages perdront aussi lourdement en rentabilité.

Une concurrence d’utilisation

La communauté scientifique invalide le mythe d’un cycle de l’eau bleue transitant rapidement et naturellement grâce au cours d’eau. 

Aujourd’hui, plus de la moitié des flux d’eau douce sont artificialisés : irrigation, adduction des réseaux et épuration des eaux, hydroélectricité, exportation et importation de biens agricoles, miniers ou manufacturiers ou encore enneigement artificiel. Si la loi garantit 10 litres d’eau par jour aux habitant·e·s en cas de crise majeure, l’arbitrage entre les différentes utilisations n’est pas réglé. Les conflits d’usage feront l’objet de rapports de force inimaginables dans un pays où l’eau coule (encore) à flot. 

Pourtant, des mesures techniques quantitatives peuvent être prises rapidement pour renforcer ce cycle naturel. Citons la perméabilisation des sols et des cours d’eau, la régulation de la consommation industrielle, l’agroforesterie, l’adaptation des espèces cultivées ou encore la limitation de l’élevage aux espaces impropres à l’agriculture.

L’approche qualitative reste accessoire

Sous nos latitudes et pluviométries, le problème hydrique n’est pas quantitatif mais qualitatif. C’est la possibilité de se reposer de façon certaine sur de l’eau saine qui est déterminante pour notre camp social et la pérennité des espèces : « Le qualitatif est la dimension la plus décisive du développement réel. » (La planète malade, Guy Debord, 1971).

Les défaillances dans la prévention d’émissions dans l’environnement de produits (éco)toxiques, persistants ou bioaccumulables, sont patentes. Hier le phosphore et les polychlorobiphényles (PCB), aujourd’hui les pesticides et le réchauffement des eaux : autant de dangers qui mettent à mal la capacité des systèmes naturels à traiter les pollutions et à les neutraliser.

Nécessité d’un débat démocratique

L’utilisation de l’eau nécessite une planification holistique, régionale et globale, qui ne peut être issue que d’une confrontation politique. En 1972, le Conseil fédéral avait proposé une planification par bassin finalement bloquée par les Chambres. Depuis, le régime de protection des eaux a évolué vers ce système qui gère la pollution avec des indicateurs environnementaux, mais qui reste très détaché de la politique agricole ou des régulations industrielles.

Si le rapport de l’OFEV pose le cadre sévère d’une hydrologie transformée par le réchauffement climatique, il reste borné dans ses propres limites techniques à une description qui renonce à esquisser les arbitrages que nous devrons prendre : plus de piscines privées, ni de pesticides de synthèse. Seule une planification radicalement démocratique permettra d’arbitrer les conflits d’usages de l’eau, sans empoisonnement de masse, ni autoritarisme ou accaparement de la source de vie.

Dimitri Paratte