Turquie

Renforcement de l’autoritarisme, du nationalisme et du conservatisme

Dans la nuit du 21 mars 2021, Recep Tayyip Erdogan a ratifié la sortie de la Turquie de la Convention d’Istanbul, que le pays avait signée en 2011. C’était alors un des premiers pays à soutenir cette convention contre la violence à l’égard des femmes et la violence conjugale et familiale.

Manifestantes devant la police à Istanbul, 2021

Erdogan avait déjà évoqué l’année passée un possible abandon de la Convention d’Istanbul, dans une tentative de consolider son électorat conservateur face aux difficultés économiques persistantes. Des groupes conservateurs et intégristes l’appelaient en effet à quitter ce traité qui, selon eux, va à l’encontre des valeurs familiales « traditionnelles » en soutenant l’égalité des sexes, et « favorise » la communauté LGBTIQ+ en prohibant les discriminations basées sur l’orientation sexuelle. 

La charge contre le mouvement LGBTIQ+ a été particulièrement virulente au début de l’année, dans un contexte de manifestations d’étudiant·e·s de l’Université Bogazici, à Istanbul. Les autorités turques ont d’ailleurs fermé le club LGBTIQ+ de l’établissement. Le ministre de l’Intérieur Süleyman Soylu a aussi plusieurs fois qualifié les LGBTIQ+ de « dégénérés ».

Répression tous azimuts

L’AKP a surtout adopté cette dernière décennie un ultranationalisme, reflété également par son alliance avec le Parti d’action nationaliste (MHP, parti fascisant turc). Les mesures de répression violente et campagnes militaires contre les mouvements et populations kurdes en Turquie et dans les pays avoisinants, tout particulièrement en Syrie, n’ont cessé d’augmenter. Un procureur turc a d’ailleurs réclamé à la Cour constitutionnelle la fermeture du Parti démocratique des peuples (HDP) en mars, car il estime que les membres du HDP s’efforcent « de détruire l’union indivisible entre l’État et la nation », tandis que le président Erdogan les accuse de liens avec le « terrorisme ». Le HDP fait l’objet d’une répression implacable depuis 2016, année où son chef de file Selahattin Demirtas a été arrêté. 

La perte d’hégémonie du gouvernement de l’AKP cette dernière décennie, et en particulier à partir de 2016, après l’échec de la tentative de coup d’État militaire par des secteurs proches du prédicateur Gülen, l’a poussé à mobiliser toujours davantage son électorat sur des bases ultranationalistes et conservatrices, tout en utilisant un discours blâmant les puissances étrangères, pour les détourner des errements politiques d’Ankara, des problèmes économiques croissants du pays et de la montée des inégalités sociales.

Joseph Daher 

À l’annonce du retrait de la Turquie, de nombreuses femmes sont descendues dans les rues du pays pour protester et ont lancé les hashtags #Istanbul­Sözles­mesi­Yasatir, #LaConvention­d’IstanbulFaitLaVie.

Cette décision a été prise au milieu de la nuit par une majorité d’hommes en prétendant agir au nom du bien des familles et de la paix des foyers. 

En tant que solidaritéS, nous sommes aux côtés de ces femmes qui sont en train de manifester à travers le pays pour faire vivre cette convention.

Iren Hazal Aksin

La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d’Istanbul

La Convention d’Istanbul est un instrument juridique international ratifié par la Suisse en 2018. Les États signataires s’engagent à protéger toutes les femmes contre toutes les formes de violence et à lutter contre les discriminations et les inégalités, car elle postule que la violence contre les femmes est la manifestation ultime des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes et fondée sur le genre. 

La Suisse l’a ratifiée avec des réserves, dont une à l’art. 59 (statut de résident accordé aux migrant·e·s victimes de violence) du fait du caractère restrictif et discriminatoire de la loi suisse sur les étrangers. 

Si une loi à elle seule ne peut pas modifier la réalité, cette convention est un outil précieux pour les mouvements féministes dans leur lutte contre les conséquences les plus terribles de la société patriarcale.

Marie-Claude Hofner 

Nous avions publié un article complet sur le sujet ↗︎.