Comment combattre le fléau?
Les violences sexistes frappent notre société dans toutes ses sphères: à la maison, au travail, sur les lieux de formation comme dans l’espace public. Face à ce fléau, des mouvements féministes de masse se soulèvent depuis plusieurs années, à l’image du phénomène #MeToo. De son côté, la Suisse a ratifié en 2018 la Convention européenne de lutte contre les violences faites aux femmes, dont on attend encore la concrétisation. Nous publions dans ce numéro un article de Lisa Loiseau sur les suites à attendre de cette ratification, ainsi que deux brèves sur la situation des personnes LGBTIQ et des personnes migrantes vis-à-vis de ces violences.

Malgré l’opposition de l’UDC, la Suisse a ratifié en 2017 la « Convention de lutte contre la violence envers les femmes et la violence domestique », dite Convention d’Istanbul. Celle-ci, entrée en vigueur en 2018, émane du Conseil de l’Europe, dont la Suisse est membre depuis 1963. Elle fait obligation aux pays signataires de mettre en œuvre des mesures de lutte contre toutes les formes de violences physiques, psychologiques, sexuelles et économiques faites aux femmes.
Ce texte est le fruit d’un long travail porté par les mouvements sociaux féministes de ces 30 dernières années. Il affirme que les violences sont faites aux femmes parce qu’elles sont des femmes, qu’elles sont « la manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes ayant conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes privant ainsi les femmes de leur pleine émancipation », qu’elles sont de nature structurelle et fondées sur le genre, et « un des mécanismes cruciaux par lesquels les femmes sont maintenues dans une position de subordination par rapport aux hommes ». Elle ajoute que les violences faites aux femmes sont une violation des droits humains, une forme aiguë de discrimination et qu’il est du devoir des États de lutter contre les violences sexistes.
Le long chemin du texte à la réalité
Comparé à d’autres conventions internationales – par exemple sur la torture – le contenu de la Convention d’Istanbul marque une avancée spectaculaire dans la lutte contre les inégalités de genre et les violences sexistes. Elle constitue aussi un outil de pression car elle engage les États au niveau des institutions internationales. Ne pas respecter ses engagements est possible, mais c’est un risque en termes d’image, ce qui n’est pas bon pour les affaires.
La Confédération a confié au Bureau fédéral de l’égalité le pilotage des mesures de prévention et de protection des victimes et de leurs enfants, prévues par la Convention, ainsi que la mise en conformité de l’appareil législatif.
Mais il faut rester prudent quant aux conséquences de cette ratification. En effet, s’il suffisait de modifier des lois pour que la réalité change, les inégalités salariales entre hommes et femmes auraient disparu depuis 1995. Les employeurs sont hors la loi depuis et ne sont toujours pas sanctionnés. Les violences que subissent les femmes sont des délits au sens du code pénal, mais de nombreuses victimes déposent plainte et se voient renvoyées par des juges qui estiment qu’il n’y a pas de quoi instruire.
Sans compter que le gouvernement suisse a émis des réserves concernant les lois sur les étrangers. La Convention oblige à la protection et à la non-discrimination des femmes migrantes victimes de violence et le fait de quitter son mari ne doit pas faire perdre à la victime son permis de séjour, ce qui est le cas en Suisse.
Pour être effectives, les mesures prévues par la Convention nécessiteraient des ressources financières importantes, or les moyens mis à disposition sont dérisoires par rapport à l’ampleur de la tâche. Dans les années 1980, quand l’épidémie de VIH/Sida a atteint la Suisse, le Conseil Fédéral, sous la pression des mouvements de défense des droits des homosexuel·le·s, a débloqué les fonds nécessaires. Donc rien n’est impossible, il faut exiger un plan national à la hauteur de la gravité du problème.
En retard sur la société
Les violences sexistes occupent une place croissante dans le débat public et la parole des femmes se libère. Si les mouvements féministes, dans une relative indifférence, les dénonçaient déjà dans les années 1970, les violences sexistes sont aujourd’hui au–devant de la scène sociale, politique et médiatique. En témoignent, au niveau international, la vague #metoo et les récentes dénonciations dans le milieu du cinéma notamment.
Mais les politiques publiques ne suivent pas, en particulier du point de vue des ressources financières. Faute d’un plan national, les décisions sont laissées au bon vouloir des cantons, il y a eu peu de campagnes de prévention et aucune au niveau national, les programmes de prévention dans les écoles sont rares, la formation dans les entreprises laisse à désirer et plusieurs cantons sont même dépourvus de centre d’accueil pour les femmes victimes de violences.
Créer un rapport de force
La grève des femmes* de juin 2019 – comme celle de 1991 avant elle – a prouvé qu’une mobilisation d’ampleur était possible, et capable de contraindre les médias et les responsables politiques à tenir compte des revendications portées par les mouvements de femmes*.
Concernant les violences sexistes, les choses n’évolueront pas sans une pression forte et continue, c’est-à-dire sans des mobilisations dans la rue, sur les lieux de travail et dans les médias, avec au cœur des revendications la question des violences.
Car vivre dans la peur de son ex-/partenaire ou d’autres hommes est un cauchemar qui prive d’énergie, empêche la réflexion et, a fortiori, prévient toute forme d’engagement politique. La lutte contre les violences sexistes ne relève donc pas d’un combat sécuritaire ni d’une logique répressive. Elle constitue l’une des pierres angulaires de l’émancipation des femmes*.
Lisa Loiseau Professionnelle de la santé et militante féministe.
* Définition habituelle
Pouvoir nommer les violences
Lesbophobie, homophobie, biphobie, transphobie, violences faites aux personnes intersexe qui subissent encore des mutilations génitales à la naissance en Suisse… ces violences spécifiques restent invisibles aux yeux de la loi.
Les violences faites à des personnes LGBTI ont toujours un impact sur la vie de la personne qui les subit. Qu’elle soit verbale, physique ou institutionnelle, la violence, si elle ne peut être dénoncée et/ou poursuivie, repousse la personne dans la marge obscure et nie son humanité. Les risques de subir de la violence pour une personne LGBTI sont doublés et les risques de viols et de violences conjugales sont également plus hauts que pour le reste de la population. Une personne Trans* sur deux subit de la violence. Ces chiffres sont, pour l’instant, recueillis par les associations d’aide et de soutien. Pouvoir dire la violence vécue en tant que personne LGBTI peut s’avérer impossible par le simple fait que personne n’est au courant de ce qu’elle vit dans son intimité.
Les conséquences sont multiples et peuvent être graves. Sentiment d’insécurité, dévalorisation de soi, angoisses et dépression. La mise en place de services d’accueil aux personnes LGBTI, d’associations, d’aide, d’écoute et de lieux de partage est importante. Des lieux où se sentir en sécurité. La formation aux spécificités de ces violences et de leur prise en charge est primordiale. Pouvoir nommer pour pouvoir y faire face.
Anita Rodriguez
Vice-présidente du PAV
(Pôle agressions et violences)
Pas de refuge contre les violences
Les femmes* et les personnes LGBTIQ+ subissent des formes extrêmes de violences avant, pendant et après le parcours migratoire, auxquelles s’ajoute encore la violence symbolique et institutionnelle. Les motifs de leur fuite ne sont souvent pas reconnus par les autorités, qui ne prêtent pas une attention suffisante aux violences spécifiques au genre. Lors des interrogatoires par l’administration, il n’est pas fait appel à un personnel formé pour écouter des personnes ayant subi des violences, ce qui ne favorise pas les témoignages. Lorsque leur droit de séjour dépend de celui de leur conjoint, une logique de dépendance se met en place. Difficile pour une femme battue par son mari de quitter le domicile conjugal si elle risque de perdre son permis.
Malgré la ratification de la Convention d’Istanbul (lire ci-contre), le Conseil fédéral a décidé de ne pas étendre le champ d’application de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions (LAVI) aux femmes relevant de l’asile victimes de violences sexuelles! La Suisse reconnaît ainsi s’intéresser davantage au statut de ces femmes qu’à leur situation de victime de violences.
Les femmes migrantes ne viennent pas en Suisse que pour des motifs d’asile, mais aussi pour travailler, le plus souvent dans l’économie domestique. Or, les femmes sans statut légal sont particulièrement vulnérables à l’exploitation et à la violence. Pour elles comme pour toutes les personnes concernées par des statuts précaires, la régularisation est une condition indispensable pour sortir de l’engrenage des violences.
Aude Martenot Tamara Knezevic