Ukraine

Il est temps pour la solidarité internationale contre la guerre

Après l’effondrement de l’URSS, il ne restait qu’une seule superpuissance dans le monde – les États-Unis. Mais rien n’est éternel et maintenant leur hégémonie décline. Cependant, ce processus ne favorise guère un ordre mondial plus démocratique. Au contraire, d’autres prédateurs impérialistes, comme la Russie de Poutine, ré-émergent.

#Ukraine I love revolution
Mur lors de manifestation d’Euromaïdan, Kiev, 2004

Que veut Poutine ?

Selon l’historien britannique Marko Bojcun, jusqu’à récemment l’objectif de Poutine est d’amener les Américains et les Européens à l’aider à forcer le gouvernement ukrainien de mettre en œuvre les accords de Minsk, tels qu’ils sont interprétés par la Russie. Le 21 février, une étape a été franchie par Vladimir Poutine qui reconnaît officiellement les deux régions sécessionnistes de l’est de l’Ukraine comme des États indépendants et déploie ouvertement l’armée russe dans ces territoires. 

Les républiques autoproclamées revendiquent également le reste des régions de Donetsk et Louhansk en Ukraine comme leur territoire. Si Moscou soutient leurs revendications et étend son intervention militaire en Ukraine, cela mènera à une guerre meurtrière pouvant affecter toute l’Europe.

Certes, la Russie poursuit des objectifs plus larges pour modifier l’équilibre des pouvoirs et les sphères d’influence respectives de la Russie et des États-Unis en Europe. Mais sa priorité est de soumettre l’État ukrainien à la volonté russe. Les évènements récents au Kazakhstan et au Belarus ont monté une fois de plus que tomber dans la sphère d’influence de la Russie n’apporte rien de bon aux peuples. La tentative de l’Ukraine de sortir de l’orbite de son « grand frère » en 2013 lui coûte cher. Depuis 2014, au moins deux millions de personnes ont dû fuir leurs foyers dans les régions occupées et annexées. Plus de 15 000 ont aujourd’hui déjà perdu la vie dans ce conflit.

Tout le long, les Européens signalaient à Poutine qu’ils ont des intérêts distincts à protéger dans leurs relations avec la Russie. Les gouvernements se tortillent de malaise devant toute suggestion d’imposer des sanctions contre les capitalistes russes qui utilisent les services financiers de leurs pays pour protéger leurs actifs. Cependant, en ce moment l’Europe est plus proche de la guerre qu’à n’importe quel autre moment depuis 1945. Désormais il est temps prendre des mesures immédiates pour désamorcer la situation et exhorter la Russie à retirer ses troupes des territoires et des frontières ukrainiennes.

Que faire ?

Le Kremlin, l’Europe et les États-Unis veulent surtout s’entendre entre eux et protéger leurs intérêts respectifs. Cependant, l’intérêt dont on ne parle guère est avant tout celui des personnes dont la vie dépend directement du conflit et de la manière dont il sera résolu. Le peuple d’Ukraine ne doit pas devenir encore une fois une monnaie d’échange dans le jeu des vieux machos aux ambitions géopolitiques maladives. 

« Nous aspirons à une Ukraine pacifique et neutre, mais pour cela, le Kremlin doit mettre fin à sa politique impérialiste agressive, et notre pays doit être doté de garanties de sécurité plus sérieuses que le mémorandum de Budapest, ouvertement piétiné par Poutine en 2014. » Telle est la position des socialistes ukrainiens de l’organisation Mouvement social qui proposent leurs solutions à ce conflit. Selon eux, les trois premières mesures doivent être les suivantes. 

  • Le retrait complet des troupes russes du Donbass. L’un des meilleurs moyens de pression serait la saisie des biens et des avoirs des oligarques et des fonctionnaires russes en Europe.
  • La création d’un programme international pour la restauration de la région touchée par la guerre et l’assistance à ses habitants (y compris par la confiscation de ce qui a été pillé par les oligarques russes et ukrainiens).
  • La révision de la trajectoire socio-économique proposée à l’Ukraine par l’Occident : au lieu de réformes néolibérales destructrices sous la pression du FMI, l’annulation de la dette extérieure de l’Ukraine. 

Solutions pour la paix durable 

Pour Marko Bojcun, il faut réfléchir aussi aux solutions durables pour la paix. Nous devons envisager une alternative au monde des blocs et des superpuissances. Le bilan de la Guerre froide avait montré que cette stratégie avait échoué à garantir la paix. Aucun pays ne désarmera unilatéralement s’il reste entouré ou confronté à d’autres États armés. L’Ukraine a appris une leçon amère lorsque, après avoir cédé son arsenal nucléaire à la Russie en 1994 en échange d’une garantie de respecter son indépendance et son intégrité territoriale, la Russie l’a envahie en 2014.

Il n’y a pas d’autorité au-dessus des États dans le monde d’aujourd’hui qui puisse les contraindre à faire quoi que ce soit. Par conséquent, les populations qui pratiquent une autre façon de coexister – pacifiquement, de manière coopérative – doivent faire valoir un autre type d’ordre international. Nous devons demander le démantèlement de toutes les bases militaires situées en dehors de leur pays d’origine, la liquidation de l’OTAN dirigée par les États-Unis et de l’OTSC dirigée par la Russie. Les gouvernements n’initieront pas cette marche vers la paix. Nous devons l’organiser nous-mêmes.

Adélaïde Pougatchova

Poutine choisit l’offensive militaire

Qu’est-ce qui a poussé le calculateur Poutine à provoquer une nouvelle crise internationale sur la question de l’Ukraine ? Il y-a-t-il une réelle menace militaire de l’OTAN ? Comment répondre à ces montées du militarisme et du nationalisme ?

Pourquoi cette focalisation sur l’OTAN ? Son hypothétique élargissement représente-t-il vraiment une menace ou ne s’agit-il pas plutôt d’un prétexte pour le régime de Poutine ? 

Prenons un autre cas. La Finlande, pays de 8 millions d’habitant·e·s, partenaire de l’OTAN et membre de l’UE, dispose d’une armée de 900 000 réservistes (l’armée ukrainienne est forte de 250 000 soldats et 300 000 réservistes). Ce pays possède une frontière bien plus longue que l’Ukraine avec la Russie. Elle est en train d’acquérir des avions de combat américains F35. Pourtant, cela ne semble pas gêner le Kremlin.

La peur d’instabilité intérieures

Vraisemblablement, Poutine a des craintes pour la stabilité sociale dans d’autres régions à ses frontières. Les fortes mobilisations en Biélorussie, puis au Kazakhstan, ont montré la faiblesse de ces régimes face à des protestations populaires. La répression a permis certes de rétablir un semblant d’ordre et de maintenir les gouvernements établis en place. Mais les causes profondes de ces révoltes (pauvreté, corruption, absence des libertés individuelles et politiques) demeurent et pourraient conduire à de nouvelles confrontations dans la rue.

De même, la situation interne en Russie n’est pas à l’abri de nouvelles protestations, même si toutes les formes d’opposition semblent aujourd’hui étouffées. Poutine a également eu à affronter la plus grande vague de protestations antitotalitaires depuis son élection. Son mandat présidentiel se termine en 2024. Qu’il puisse continuer dépend beaucoup de ses perspectives sur la politique étrangère, dans une situation de dégradation de la situation sociale intérieure.

L’incertitude pouvait aussi provenir de l’attitude de la nouvelle coalition gouvernementale en Allemagne. Après le retrait en catastrophe de l’Afghanistan, Biden cherche aussi à rétablir une image de président « fort » par des déclarations belliqueuses et des gesticulations militaires. La Russie et la Chine deviennent ainsi des cibles privilégiées pour un président affaibli sur le plan intérieur. Ce contexte a favorisé Poutine, en accréditant des plans d’intimidation, voire d’invasion.

Fuite en avant

Devant toutes ces incertitudes, créer une situation de crise en agitant une menace extérieure semblait une manœuvre utile pour le régime russe. Nous sommes loin des préoccupations sécuritaires du territoire russe, mais plutôt dans la recherche d’une nouvelle stabilité intérieure.

En lui donnant une dimension internationale, ce détournement de l’opinion publique peut accorder un sursis pour Poutine. Il retrouve aussi une stature de grande puissance, négociant directement avec Biden et Macron.

Mais, contrairement à la crise de 2014, déclenchée par l’occupation de la Crimée et l’appui aux milices séparatistes du Donbass, l’espoir pour Poutine d’un changement de régime à Kiev, avec un gouvernement plus favorable aux intérêts russes, s’est évanoui. Après la chute du dictateur Ianoukovitch en 2014, la force d’attraction de l’UE n’a cessé de croître à mesure que les échanges augmentaient. La majorité de la population de l’Ukraine est clairement tournée vers l’Ouest. En cas de tentative d’invasion de régions périphériques, il y aurait une opposition massive, même si la majorité de la population est lassée de cette longue situation conflictuelle. Poutine le sait, et cherche donc plutôt à tirer des avantages militaires limités, en occupant les zones russophiles, tout en affaiblissant l’Ukraine sur le plan économique (insécurité des investissements, départs de population à l’étranger).

Cette escalade ignore aussi la volonté des populations concernées, en les écartant complètement du champ politique. L’Ukraine est non seulement un Etat, mais aussi une nation, n’en déplaise à Poutine.

Pour une offensive mondiale antimilitariste et antinucléaire

Ces risques mettent sur la table la question d’un désarmement massif et d’une démilitarisation de toutes les zones. Amasser des armes ne sert que les intérêts des militaristes et des marchands d’armes. Le retrait immédiat de toutes ces troupes reste le moyen le plus sûr pour engager une désescalade.

Ces événements mettent en évidence la nécessité de construire un nouveau mouvement pacifiste à l’échelle internationale, pour donner aux peuples une voix différente de celle des gouvernements.

Construire ce nouveau mouvement représente aussi un moyen de s’approprier une indépendance d’action et d’objectifs, qui ne soient pas subordonnés aux intérêts de quelques grandes puissances, aux négociations secrètes et aux marchandages sordides. Un tel mouvement favoriserait aussi la liberté d’expression et d’organisation, qui sont fortement limitées dans beaucoup de pays européens. Cet horizon de paix et de liberté mettra aussi en évidence les insuffisances sociales et économiques actuelles, et pourrait dessiner de nouvelles lignes politiques pour un renouveau écosocialiste et féministe pour remplacer les institutions actuelles de l’UE et de l’OTAN. « Organisons la mobilisation pour la désescalade, la paix, la dissolution des blocs et l’autodétermination des peuples » (déclaration du bureau exécutif de la Quatrième Internationale).

José Sanchez