Roblox

L’univers trop choupi des enfants exploités

Fort de 45 millions d’utilisateur·ice·x·s quotidien·ne·x·s dans le monde, Roblox attire un seul et unique public : les enfants. Mais derrière l’apparence amateure et joviale de la plateforme se cache un modèle financier catastrophique, proche de la gig economy.

Capture d’écran du jeu Roblox
Capture d’écran du jeu

Sortie en 2006, Roblox est une plateforme qui héberge des jeux vidéo créés par les propres utilisateur·ice·x·s de la plateforme. Une sorte d’écosystème fermé avec son propre langage, ses propres règles et sa propre monnaie. Chaque personne y a la possibilité de jouer, d’échanger des objets ou encore créer son propre jeu, appelés ici une « expérience ». 

S’il n’est pas nouveau d’avoir des jeux qui permettent de créer du contenu pour d’autres joueur·euse·x·s – on peut penser à Little Big Planet ou Super Mario Maker, c’est ici l’économie interne à la plateforme et sa gigantesque taille qui pose question. Celle-ci est certes gratuite, mais elle repose sur des micro-transactions (des petits montants par-ci par-là façon Candy Crush) à tous les niveaux. De plus, tout s’opère avec les Robux, la monnaie digitale de la plateforme. Et c’est là, la particularité de Roblox : monétiser les jeux qu’on a créé. 

Si au premier abord on pourrait saluer de rémunérer une classe de gens qui fournissent du contenu pour la plateforme, la réalité est d’autant plus amère et choquante. Les jeux étant développés avec un logiciel propriétaire, ils ne peuvent pas être sortis de la plateforme et n’appartiennent donc jamais vraiment aux créateur·ice·x·s. Ainsi, Roblox prend plus de 75 % des revenus des jeux (loin des standards de l’industrie entre 12 à 30 %) et il faut atteindre un palier d’environ 1000 francs en Robux sur son compte pour que le montant soit convertible en monnaie réelle. 

Ceci n’est bien sûr que la pointe de l’iceberg : les problèmes rencontrés par les développeur·euse·x·s (jeunes comme moins jeunes) sont nombreux et iels sont à la merci d’un algorithme qui ne priorise que quelques centaines de jeux sur les dizaines de millions présents sur la plateforme – à moins bien sûr de payer pour que le jeu soit mis en avant… 

Le modèle de Roblox, bien qu’il vante des possibilités entrepreneuriales, est un leurre : la majorité des créateur·ice·x·s ne verront jamais un centime et celleux qui touchent effectivement de l’argent sont à la merci d’un système ingérable qui ne garantit aucune sécurité financière. Roblox est une entreprise désormais valorisée en bourse comme plus chère que la fameuse Nintendo, qui compte des centaines de millions d’utilisateur·ice·x·s et qui repose sur de l’exploitation pure et simple.

Un modèle classique d’uberisation

Pour autant Roblox est continuellement déficitaire. Comment expliciter cela ? C’est le genre d’entreprise qui devient inébranlable car elle dépense sans compter jusqu’à être leader du marché. Uber a fait pareil : en opérant à perte pendant de nombreuses années, l’entreprise a pratiqué des prix tellement bas qu’elle a pu mettre la concurrence sous une pression énorme et ainsi déréguler le marché et les conditions de travail de manière presque globale. 

Roblox fait pareil : la plateforme est leader clair du marché chez les enfants de moins de 15 ans. Une partie se fait exploiter comme force de travail non ou mal-­rémunérée et fait face à des espaces très mal modérés où l’on vend un discours entrepreneurial. C’est l’évolution en quelque sorte logique du néo­libéralisme dégoûtant du web 2.0 et du secteur technologique qui peut y faire sa loi. En proposant des plateformes de prime abord amusantes ou pratiques, c’est tout un pan entier de créateur·ice·x·s qui se retrouve précarisé. Que ce soit Spotify, YouTube ou Roblox, les artistes ne peuvent plus échapper au travail avec des entreprises qui détruisent allégrement la culture : les plateformes peuvent décider sans transparence de ruiner nos revenus et nos conditions de travail et déterminer quel contenu nous faire consommer. 

Jouer, gagner, faire la révolution

Bien sûr que les investisseurs dans le milieu du jeu vidéo visent une part du gâteau proposé par Roblox : un modèle de jeux vidéo qui permet de « jouer pour gagner de l’argent » (Pay to Earn) est de plus en plus discuté. Visiblement la notion de loisir leur échappe, mais l’idée prend racine. En attendant un futur encore plus dystopique où les jeux vidéo seront les nouveaux bullshit jobs, une réponse syndicale doit s’opérer. 

Organiser les travailleur·­eu­se·x·s concerné·e·x·s par les plateformes d’uberisation est évidemment un début et l’exemple local de Smood nous montre que tout n’est pas perdu. Néanmoins, quand il s’agit d’enfants visé·e·x·s par ces pratiques, il ne faut pas oublier que ce sont de vraies perspectives révolutionnaires qui nous sauveront et non des compromis avec les plateformes. Dans ce sens, elles doivent être soit nationalisées soit tout simplement détruites.

Seb Zürcher