Portugal
Vers un cycle de majorité absolue du PS
Au Portugal, les élections législatives anticipées de janvier 2022 ont débouché sur une défaite historique des partis à la gauche du PS. Analyse.
Les élections du 30 janvier au Portugal ont donné au Parti socialiste (PS) une majorité absolue de député·e·s. La gauche a subi une défaite majeure, entraînée par le spectre d’une bipolarisation annoncée dans les sondages et qui s’est avéré faux. La droite traditionnelle a subi une nouvelle défaite, ne parvenant pas à concentrer les votes et ouvrant la voie à la nouvelle et à l’ancienne extrême droite, au parti Chega et à l’Initiative libérale (IL).
Les sondages des derniers jours de la campagne montraient le PS et le Parti social démocrate (PSD) à égalité, pendant le PSD séduisait Chega (extrême droite populiste et raciste) et Iniciativa Liberal (droite libérale radicale), en proclamant la fin du salaire minimum national et autres barbaries. Face à cette situation, le peuple de gauche s’est précipité pour voter pour le PS. Au final, l’écart les résultats du dimanche montraient un écart de 13 points aboutissant à une majorité absolue. Le PS n’avait obtenu un tel résultat qu’avec José Sócrates, en 2005.
Forte participation
À l’heure des derniers jours de la pandémie, avec 10 % de la population en situation d’isolement, la participation électorale a pourtant augmenté (58 % au niveau national, avec un taux de participation encore plus élevé dans certains cas, comme 62 % à Lisbonne). Le PS a gagné 350 000 voix, tandis que la gauche est passée d’environ 900 000 à un peu moins de 500 000 voix.
Dans cette compétition, le vote utile s’est révélé fatal : le Bloco a perdu la moitié de sa base électorale et est passé de 19 à 5 député·e·s ; le Parti communiste portugais a obtenu le pire résultat de son histoire en termes de voix et de sièges (il a perdu la moitié de ses député·e·s, dont certain·e·s étaient des références importantes). Les écologistes du PEV (satellite de la coalition communiste) et du CDS (droite conservatrice traditionnelle) ont disparu du parlement. Le PAN (parti des droits des animaux et de l’écologie libérale) a été réduit à un député (il en avait quatre) et le Libre (Vert·e·s fédéralistes) a conservé un siège.
Le parlement se retrouve avec moins de gauche et moins de partis. Ainsi, pour le Bloco, le nouveau cycle sera celui de l’opposition de gauche à la majorité absolue, en mobilisant les luttes sociales qui répondent à la fracturation du pays, dans la santé, dans le précariat, dans l’égalité, dans la transition climatique.
Fin du « modèle portugais »
Certain·e·s s’empresseront de voir dans ces résultats une faillite rétroactive du « modèle portugais » (qui, étant portugais, n’a jamais voulu être un modèle), du soutien parlementaire autonome sans participation au gouvernement.
Pour que le débat soit rigoureux, il convient de noter que cet accord parlementaire a été conclu en 2015 et a pris fin en 2019. Lors des élections de cette année-là, le Bloco a maintenu ses 19 député·e·s. Mais le lendemain, le Parti socialiste rejette un accord avec la gauche et met fin à la « Geringonça ». C’est dans ce contexte, après deux ans d’opposition, au cours desquels le Bloco a voté contre deux budgets d’État (le PCP n’a voté que contre le dernier), que cette défaite électorale s’est vérifiée.
Ces élections interviennent après un mandat au cours duquel le PS a rejeté les accords parlementaires au nom d’avancées en matière de santé, de droit du travail ou de réponse à la crise, cherchant à assujettir la gauche. L’intransigeance qui a conduit au rejet du budget de l’État, et la crise politique artificielle qu’elle a provoquée, a été une stratégie réussie vers la bipolarisation et le « vote utile » contre la droite.
Le cycle de la majorité absolue pour les quatre prochaines années est un danger, surtout dans deux domaines : dans les services publics, compte tenu de l’antagonisme entre le PS et l’école publique ou de sa détermination à protéger le système de santé privé ; et dans l’économie, compte tenu du fait que le PS protège les activités des grandes entreprises et utilise le système fiscal pour transférer des ressources vers le capital, comme il pourra le faire à nouveau, par exemple, pour compenser l’augmentation du salaire minimum.
L’inflation, bien qu’encore faible, ronge déjà les revenus du travail, dans de nombreux cas également pénalisés par l’augmentation du coût du logement. C’est donc une fois de plus dans la sphère sociale que se jouera la suprématie ou l’érosion de cette majorité absolue. Arrivé au sommet de son pouvoir, António Costa est maintenant confronté à toutes les difficultés qu’il a créées, ignorées ou exacerbées. De notre côté, la gauche construira sa force sur la clarté et l’énergie de sa mobilisation contre la majorité absolue.
Francisco Louça
Économiste et enseignant à l’Université technique de Lisbonne. Membre du Bloco de Esquerda, il a également fait partie du groupe parlementaire jusqu’en 2012.
Paru dans Viento Sur. Traduit et adapté par notre rédaction