Campagne contre le terricide
Écoféminisme et décolonialité
María Eugenia García Nemocon, membre de la commission écoféministe de Ecologistas en Acción, ainsi que de Acción y Trawunche, revient sur les campagnes menées contre les terricides, au croisement des luttes contre l’extractivisme, le racisme et le sexisme.
En février 2020, le premier campement climatique convoqué par les sœurs du Mouvement indigènes pour le buen vivir a rassemblé des militantes venues des 36 nations originaires de ce qui s’appelle aujourd’hui l’Argentine. Les femmes ont toujours joué un rôle prépondérant dans la défense des territoires qu’elles habitent et dont elles font partie. Leurs luttes sociales, écoféministes et populaires, sont à l’avant-garde dans tout le Sud global, malgré le fait que le regard eurocentrique/colonial place les femmes indigènes et noires au plus bas échelon de la société.
Ces militantes ont construit le concept de terricide. Ce terme désigne non seulement l’assassinat des écosystèmes tangibles et des peuples qui y habitent, mais aussi la destruction de tous les cycles régulant la vie sur terre.
En mars, a débuté une marche de membres du mouvement des femmes indigènes pour le buen vivir (littéralement le « bien vivre ») et d’activistes pour exiger que le terricide soit considéré comme un crime contre l’humanité et la nature. Cette marche demande que les mouvements du monde entier soutiennent cette campagne pour renverser et arrêter la dépossession des terres, l’extractivisme et la destruction de la vie dans toutes leurs manifestations réalisées par les entreprises et les États. Elle revendique aussi la pratique du buen vivir comme droit.
Alternative au développement : le buen vivir
Le buen vivir, concept de la philosophie indigène, désigne une forme de vie harmonieuse avec la terre, la nature et avec tous les êtres visibles et invisibles qui l’habitent. C’est un bien-être collectif, hérité de la mémoire ancestrale des biens communs. Les pratiques ancestrales du buen vivir des communautés indigènes encore subsistantes, bien que ne représentant pas plus de 5 % de la population, ont préservé environ 80 % de la biodiversité de la planète. Ces pratiques affrontent les grandes entreprises et consortiums multinationaux, appuyés par les gouvernements locaux.
Défenseuses du territoire
Les écoféminismes du Sud remettent en question le colonialisme, étant donné que, malgré leur indépendance par rapport aux métropoles, les États-nations instaurés ont reproduit les valeurs et les modèles hérités des conquistadores. Ces modèles, basés sur l’exploitation des biens naturels communs, dévalorisent la qualité humaine des peuples originels et des populations noires.
Dans les territoires des Suds globaux, il existe de multiples collectifs, assemblées et communautés de femmes organisées. Beaucoup d’entre elles ne se dénomment pas toujours écoféministes, parce que leurs connaissances et leurs résistances dérivent de conceptions cosmogoniques-philosophiques du monde liées et intégrées à la nature. Elles estiment que leurs connaissances et leurs pratiques sont antérieures au concept d’écoféminisme.
Beaucoup d’entre elles lient leurs luttes à différents enjeux : la défense de leur culture, de leurs connaissances ancestrales, des espaces sacrés, des spiritualités diverses, de la défense des semences autochtones, de l’eau comme bien de base et de toutes les formes de vie. De plus, les apports théoriques-politiques des écoféminismes à vocation décoloniale ont provoqué des avancées liées à la justice restauratrice de la biodiversité. Elles affirment également la nécessité de concevoir les écosystèmes, les forêts et les cours d’eau comme sujets politiques et sujets de droit.
Les écoféminismes du Sud global répondent à la nécessité de construire des propositions apportant des réponses à la crise. Leurs contributions rompent avec la spoliation coloniale – comme le sont par exemple les pratiques d’extraction des minerais et des hydrocarbures, des monocultures et des développements hydroélectriques. Elles questionnent le « développement » capitaliste et promeuvent des alternatives qui transcendent et dépassent la vision anthropocentrique et coloniale.
Ainsi les apports écoféministes, antiracistes et décoloniaux sont des axes déterminants pour pouvoir parler de justice démocratique socio-environnementale et pour produire des connaissances, des interrelations politiques, épistémiques et économiques alternatives du point de vue de l’hétérogénéité, afin de subvertir le système.
En conclusion, ces luttes rendent effective la contradiction entre le capital et la vie. Face à cette dernière, une accumulation de biens et de capitaux supposant misère, inégalité, faim n’a aucun sens. La marche contre le terricide est l’une des manifestations en ce sens. Elle met effectivement la vie au centre.
María Eugenia García Nemocon
Traduction du castillan : Hans-Peter Renk