Le libertarianisme autoritaire contre le climat

Dans leur ouvrage La finance autoritaire – vers la fin du néolibéralisme, les sociologues Marlène Benquet et Théo Bourgeron analysent le passage du néolibéralisme à ce qu’ils nomment le libertarianisme autoritaire. 

Une pancarte représentant Jair Bolsonaro en icône fasciste

Les deux auteur·trice re­viennent sur le basculement qu’a constitué l’arrivée au pouvoir de Trump, Bolsonaro, ou Johnson. Loin d’incarner une opposition « populiste » au monde financier globalisé, ces hommes politiques représentent l’avènement progressif d’un nouveau régime d’accumulation du capital : le libertarianisme autoritaire. En se penchant sur les comptes de campagne de ces individus, les sociologues identifient un soutien financier important venant d’une fraction du patronat, liée aux fonds d’investissement, aux hedge funds, ou encore une part importante d’entreprises de la Silicon Valley (GAFAM exceptés).

Mais en quoi le libertarianisme autoritaire diffère-t-il du néolibéralisme, qui admet lui aussi une composante autoritaire toujours plus marquée ? Pour Benquet et Bourgeron, la différence essentielle est que la vie sociale est désormais uniquement réduite à la liberté individuelle d’accumuler du capital. Comme l’État ne dispose plus de moyens pour assurer une cohésion sociale, ce régime politique implique nécessairement une réduction des libertés démocratiques, civiques et sociales. En outre, contrairement à la doctrine néolibérale, qui postulait une convergence entre les intérêts économiques privés et le bien commun, il n’y a pas d’articulation – même théorique – entre la liberté individuelle et la liberté collective : seule compte la liberté individuelle d’accumuler du capital.

Changement de régime climatique

Les sociologues vont plus loin : à cette évolution politique correspond un changement de régime climatique, qui se caractérise par des incertitudes très élevées sur les conditions de vie sur terre. Les conditions d’accumulation du capital sont donc fréquemment et rapidement redéfinies. Benquet et Bourgeron mobilisent le terme de climatonégationniste – plutôt que climatosceptique – car ces acteurs cherchent activement à créer du profit dans ce nouveau régime. Ils anticipent la raréfaction des ressources et s’organisent pour qu’elle puisse être source de profits. Ces acteurs financiers et leurs think tanks luttent ainsi pour affaiblir, voire détruire, les normes environnementales, et revendiquent leur droit à marchandiser la nature et le Vivant. 

Anouk Essyad

Fascisme fossile : une autre « convergence » qui inquiète

« N ous sommes aujourd’hui à la croisée de deux tendances : d’un côté, les températures moyennes qui grimpent en flèche ; de l’autre, l’extrême droite qui gagne rapidement du terrain. Aucune des deux ne présente de signe visible de disparition prochaine. Rien n’indique qu’elles vont s’atténuer ou s’inverser de leur plein gré. Que se passe-t-il lorsqu’elles se rencontrent ? ». C’est par ce constat et cette question centrale que se construit ce récent ouvrage co-écrit par le Collectif Zetkin, un groupe de chercheurs·euses, de militant·e·s et d’étudiant·e·s de diverses nationalités formé en 2018 en Suède et qui travaille sur les écologies politiques de l’extrême droite, sous la coordination d’Andreas Malm. Ce texte très riche s’intéresse aux articulations, parfois subtiles, entre la matrice idéologique de l’extrême droite et celle du climatonégationnisme autour de la défense du capital fossile.

Dans cet ouvrage, ce sont les discours, les pratiques, les organisations et les programmes des écologies politiques de l’extrême droite de treize pays européens et deux pays américains (Brésil et USA) qui sont minutieusement analysés et comparés. Si la première partie procède à un tel état des lieux, la seconde partie se focalise sur l’histoire fossile du fascisme européen, démontrant le lien crucial entre l’ethno-nationalisme des extrêmes droites occidentales et l’usage des énergies carbonées. On pourrait résumer la thèse principale de ce livre de la manière suivante : le fascisme est historiquement lié à une économie fossile dont il défend structurellement les intérêts.

Dans la conjoncture historique actuelle, les mots de Rosa Luxemburg résonnent : « socialisme ou barbarie ! » Oui, l’émergence de l’écofascisme est possible, au même titre qu’une alternative écosocialiste qui serait, au contraire, assurément féministe, solidaire, démocratique et antiraciste. À ce titre, il est évident que la constitution d’un « front unique climatique antifasciste » est une nécessité urgente. Cet ouvrage en est une contribution importante qu’il faut poursuivre, aussi en Suisse.

Steven Tamburini