Loi MPT

Nouveau recul des droits fondamentaux

Dans la perspective du vote du 13 juin prochain sur les dites « mesures policières de lutte contre le terrorisme » (MPT), nous nous sommes entretenu·e·s avec Jean-Michel Dolivo, militant de solidaritéS et avocat, ancien député vaudois Ensemble à Gauche.

Deux manifestants avec une pancarte "Police partout, justice nulle part" lors de la manifestation contre la répression policière, Lausanne, avril 2021
Manifestation contre la répression policière, Lausanne, 4 avril 2021

Dans quel contexte politique se déroule cette intensification de la répression à l’encontre des mouvements sociaux et, plus généralement, de nos droits démocratiques ?  Il est nécessaire d’inscrire les MPT dans l’histoire de la police politique et de l’État fouineur helvétique. Dans la deuxième partie du 19e siècle, ce sont les ouvriers·ères allemand·e·s exilé·e·s en Suisse qui étaient surveillé·e·s, les autorités craignant une propagation de leurs idées radicales et de leurs formes d’organisation collective. Puis ce furent les exilé·e·s italien·ne·s et la propagande anarchiste qui leur était imputée. 

Après la Première Guerre mondiale, c’est le prétendu danger bolchévique qui a servi de prétexte à la surveillance et au fichage. Après la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide et la lutte contre le communisme a justifié l’espionnage par l’État de toute personne ou organisation qui étaient considérée comme « non conforme », par exemple les mouvements pour la paix, contre l’armement atomique ou ceux qui soutenaient les luttes pour l’indépendance des peuples colonisés. En novembre 1989, une commission d’enquête parlementaire a révélé le scandale des fiches, qui concernait 900 000 personnes.

Comment les MPT renforceraient ces dynamiques répressives ? Les MPT ouvrent un nouveau champ à une surveillance généralisée. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, défini comme « des actions destinées à influence ou à modifier l’ordre étatique et susceptibles d’être réalisées ou favorisées par des infractions graves ou la menace de telles infractions ou par la propagation de la crainte », des mesures préventives, de fichage et des restrictions graves aux libertés personnelles pourront être prises contre des « terroristes potentiel·le·s ». L’autorité pourra imputer à toute personne agissant notamment pour le climat la volonté d’influencer ou de modifier l’ordre étatique actuel… Les MPT ont d’abord une fonction d’intimidation, en lien avec toute opinion critique. Le péril prétexte à combattre n’est plus le bolchévisme, mais bien l’islamisme, voire l’islamo-­gauchisme ! C’est d’ailleurs celui qui est évoqué ouvertement dans le message du Conseil fédéral. Et le climat d’islamophobie installé depuis des années permet de faire passer ces atteintes aux droits fondamentaux.

Ainsi, les MPT amènent au dispositif répressif existant dans le cadre de la procédure pénale ordinaire des mesures répressives qui ne sont plus encadrées par les garanties de procédure propres à celle-ci. La police fédérale (Fedpol) dispose d’un pouvoir arbitraire, sans contrôle judiciaire préalable sur les décisions prises, sauf pour l’assignation à résidence. Les mesures qu’elle est en droit de prendre sont pourtant très sévères du point des vue des libertés, notamment l’interdiction géographique, la surveillance électronique et la localisation par téléphone mobile. La notion de « terroriste potentiel » est totalement subjective. Les MPT constituent ainsi une véritable loi d’exception. Comme le souligne l’Ordre des avocats de Genève, elle crée « un système juridique parallèle, permettant à la police d’agir sur des critères flous au mépris de la présomption d’innocence ».

Quelle résistance et formes de solidarité sont à organiser pour faire face à ces campagnes qui limitent nos droits démocratiques ? Dans un contexte de crise profonde du système, marquée à la fois par des mobilisations sociales importantes, une remise en cause de l’ordre néolibéral et une accentuation sans précédent des inégalités sociales, les classes dirigeantes préparent des outils et expérimentent une nouvelle forme autoritaire de gouvernement. En Suisse également : les MPT n’ont pas tant pour objectif une efficacité quelconque contre des actes de violence qualifiés de terroristes, mais ils renforcent encore un dispositif répressif existant (en particulier différentes dispositions pénales, comme celles relatives aux actes préparatoires délictueux ou le financement du terrorisme). 

La politique répressive déjà menée contre les manifestant·e·s de la Grève du climat en témoigne et les condamnations doivent dissuader un élargissement et un approfondissement des mobilisations. Pour tenter de contrer cette offensive, notre priorité est la constitution d’un front large de défense des droits démocratiques et des libertés personnelles. Il est indispensable de combiner une telle politique de front uni avec une contre-offensive pour les droits sociaux et contre la précarisation croissante d’une grande partie de la population.  

Propos recueillis par notre rédaction