Violences systémiques dans les centres fédéraux d’asile

Une enquête de la RTS a mis en lumière ce que des militant·e·s dénonçaient depuis des mois : l’existence d’une violence systématique à l’encontre des personnes en exil dans les centres fédéraux.

Pancarte "Pas de prison pour les migrants" lors d'une manifestation contre les renvois, Genève, février 2021
Manifestation contre les renvois, Genève, 24 février 2021

En mars dernier, l’association Droit de Rester Neuchâtel s’insurgeait contre l’augmentation du nombre de mauvais traitements infligés aux résident·e·s du centre fédéral d’asile (CFA) de Boudry par des employé·e·s d’une entreprise privée chargée de la sécurité. L’association dénonce des comportements racistes, les insultes homophobes, les abus de pouvoir, les plaquages au sol, etc. De leur côté, les associations Solidarité Tattes et Droit de Rester Fribourg ont relayé la parole de plusieurs personnes ayant subi des maltraitances physiques dans le CFA de Giffers (FR), tandis que d’autres groupes militants révélaient des actes similaires dans le CFA de Bâle.

Un système qui dysfonctionne

Les CFA sont des camps fermés au public qui rassemblent des centaines de personnes dans le but de traiter au plus vite leur procédure d’asile (autrement dit : d’identifier rapidement celles et ceux pouvant être renvoyé·e·s) où l’accès aux soins n’est pas garanti et où l’encadrement est sous-traité à une entreprise privée qui emploie du personnel non formé. Le système des CFA crée inévitablement des usines à violences.

Pourtant, la parole des victimes a longtemps été mise en doute. Et durant plus d’une année, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a fait la sourde oreille devant ces révélations, en indiquant simplement mettre en place un « concept » de prévention de la violence. Il a fallu attendre une enquête de la RTS parue en mai 2021, basée sur des enregistrements, pour que la vérité éclate.

L’investigation a permis de découvrir que les rapports à destination du SEM ont été truqués par les agent·e·s de sécurité dans le but de se couvrir après l’application de sanctions disciplinaires à l’égard de requérant·e·s d’asile, ainsi que des propos racistes. Suite à ces révélations, le SEM a fait suspendre 14 employé·e·s de la société privée et a lancé une enquête externe. Un ancien juge fédéral a été chargé de la mener.

Non au CFA du Grand-Saconnex

Dans ce contexte, la coalition « Non au CFA du Grand-Saconnex », qui réunit diverses associations de défense des droits des personnes migrantes à Genève, dont solidaritéS, a réitéré son appel à cesser immédiatement la construction du CFA prévu sur le territoire. Une rencontre avec le conseiller d’État Poggia n’ayant pas abouti, le Conseil d’État dans son ensemble a été interpellé par voie de presse. Ce nouveau lieu de dérive programmée de la violence institutionnelle ne doit pas voir le jour !

Aude Martenot

Bonne nouvelle
du côté de la détention des étrangers·ères !

Grâce à la ténacité de Me Raphaël Roux, le Tribunal fédéral a imposé des restrictions à l’usage de la prison contre les étranger·ère·s expulsé·e·s (arrêt 6B_1398/2020).

En novembre 2010, l’initiative de l’UDC pour le renvoi des criminels étrangers, dite « initiative moutons noirs », avait été acceptée. Le parlement avait ensuite introduit les articles66a et ss dans le Code pénal, prévoyant l’expulsion de tout·e étranger·ère qui commettait certaines infractions. Dans les faits, les personnes avec une peine d’expulsion ne sont généralement pas expulsé·e·s, ce d’autant plus que certains pays, dont l’Algérie, refusent d’accueillir des vols spéciaux.

Les étranger·ère·s « expulsé·e·s » restent donc en Suisse, et lors du contrôle de police suivant, sont arrêté·e·s et condamné·e·s à de la prison pour rupture de ban. C’est ainsi que les étranger·ère·s remplissent les prisons parfois au seul motif de leur séjour en Suisse. À Genève en 2020, 148 condamnations ont été prononcées pour rupture de ban, dont 61 pour ce seul motif.

Après le long combat d’un ressortissant algérien, le Tribunal fédéral a indiqué qu’il n’était pas admissible de condamner un·e étranger·ère pour rupture de ban, sauf lorsque « toutes les mesures raisonnables ont été entreprises en vue de l’éloignement, respectivement si celui-ci a échoué en raison du comportement de l’intéressé ». Ce jugement faisant jurisprudence, il faudra désormais que l’autorité prouve qu’elle a tenté d’expulser la personne si elle veut la condamner.

Nous demandons maintenant aux autorités de libérer les détenu·e·s qui ont été condamné·e·s en violation de ce principe.

Pierre Bayenet