La mer de nos rêves est immense, elle ignore les frontières

Notre camarade Marianne Ebel milite au sein de Toutes Aux Frontières Suisse. Nous nous sommes entretenu·e·s avec elle
sur cette mobilisation pour une Europe sans muraille,
pour la liberté de circulation sur la planète et pour une rupture avec l’histoire patriarcale et militariste.

Deux femmes tiennent un drapeau "toutes aux frontières" au bord de la Méditerrannée

Peux-tu nous rappeler l’histoire de la Marche Mondiale des Femmes qui organise l’évènement de Nice ? L’idée d’une mobilisation planétaire des femmes est née de la Marche du pain et des roses de Québec à Montréal en 1995 contre les politiques d’austérité qui frappaient davantage les femmes. Beaucoup de marcheuses étaient migrantes et la question de la migration a donc été intégrée dès le départ dans leurs revendications. 

Fortes de cette expérience, les Québécoises ont lancé un appel international pour une entrée dans le 3e millénaire par une Marche féministe planétaire du 8 mars au 17 octobre 2000 : « Organisez-vous en coordination nationale et regardez ce que signifie chez vous, pour vous lutter contre la pauvreté et les violences faites aux femmes. » Des militantes de 165 pays de tous les continents ont répondu. 

L’idée était de rassembler ces femmes dans une Marche unique. Personne ne pensait alors à faire perdurer ce collectif. 

Le 17 octobre 2000 à New York, des dizaines de milliers de femmes sont venues de tous les continents remettre une pétition signée par cinq millions de personnes au secrétaire général des Nations Unies. Après ce succès, les participantes n’ont pas voulu que le mouvement s’éteigne et ont lancé un appel pour développer la Marche Mondiale des femmes. Tous les cinq ans une action planétaire a été organisée et récemment la MMF s’est dotée d’un nouvel outil de formation et d’information féministe.

La volonté était de créer une structure ancrée localement par des femmes qui luttent où elles vivent. Non définie comme anticapitaliste au départ, la plateforme l’est devenue à partir de 2009. Les individus comme les organisations peuvent y adhérer. En Suisse, les commissions féminines des syndicats l’ont fait. En Amérique latine, Via Campesina y est très investie, ce qui a notamment permis que la Marche intègre la question essentielle de la souveraineté alimentaire.

Et ce mouvement s’organise sur tous les continents et on en arrive à la Rencontre européenne à Genève. Oui, cette rencontre Femmes-Migration-Refuge a été organisée par la MMF dans le prolongement de la Grève féministe du 14 juin 2019. Cette question de la migration s’est très vite imposée : les migrantes sont victimes d’une oppression spécifique comme toutes les femmes mais de façon amplifiée. 

Le but à Genève était de créer un réseau européen de lutte et de résistance pour visibiliser les femmes migrantes et leurs revendications sèécifiques. Ces femmes sont invisibilisées aussi parce qu’avant, elles arrivaient en Europe essentiellement dans le cadre du regroupement familial. Or depuis 20 ans, elles viennent souvent seules, ou avec leurs enfants. Elles représentent 54 % de l’immigration.

Et de ces trois jours de rencontre avec 250 femmes de toute l’Europe nait cette idée d’occupation des frontières ? Oui, c’est là que Pinar Selek a lancé un appel à l’occupation des frontières. Travaillé dans un atelier, il a été adopté en complément de la plateforme de revendications.

Prévue initialement le 20 octobre 2020 pour la clôture de la 5e action planétaire de la MMF, elle a dû être reportée à cause de la crise sanitaire. C’est aussi pour cela que le livre Derrière les murs a été publié avec 24 récits de femmes migrantes et cette plateforme de revendications adoptée à Genève.

La première idée était d’occuper la frontière entre Menton et Vintimille emblématique de cette Muraille européenne. Mais la répression policière aux frontières, en l’absence d’autorisation, nous a conduit à modifier le site de la manifestation. Afin que des actions culturelles et de formation se déroulent de façon sécure pour les participantes, le choix s’est porté sur la ville de Nice qui, en tant que Préfecture, est le lieu où se prennent les décisions relatives à la frontière de Menton-Vintimille.

Et ton collectif va y faire une proposition ! Tu peux nous en parler ou c’est secret ? Oui ! Le collectif TAF Suisse propose une pétition féministe européenne sur le modèle de l’Appel d’Elles lancé en 2017 et déposée au Conseil fédéral le 8 mars 2018 afin que les violences vécues par les femmes migrantes dans leurs pays d’origine ou pendant leurs parcours migratoires soient reconnues comme motif d’accès à l’Asile. Les collectifs européens sont intéressés par la démarche, qui est adressée à la Commission européenne et à tous les gouvernements de l’espace Schengen. Notre Collectif appelle à la formation d’une large coalition pour lancer cette pétition à l’automne 2021 à Nice. L’objectif est de faire bouger les lignes avec la pétition dans le cadre d’un mouvement fort contre cette Europe-Muraille.

Propos recueillis par Thomas Vachetta