Honduras

Un acte de justice posthume pour Berta Cáceres

De la Sibérie à la Californie, les records de température ont à nouveau été battus cet été, et les incendies forestiers et les sécheresses s’étendent. Mais les personnes qui luttent pour sauver la planète affrontent des menaces, de l’intimidation à l’emprisonnement ou à la mort, dans le cas de la militante indigène Berta Cáceres.

Deux enfants portent un portrait de Berta Caceres lors d'un rassemblement
Manifestation en souvenir de Berta Cáceres, Tegucigalpa, mars 2019

Au Honduras, Berta Cáceres avait dirigé la campagne du peuple indigène Lenca contre la construction d’un barrage hydroélectrique sur le rio Gualcarque (ce dernier possède un caractère sacré pour la communauté Lenca). Le 2 mars 2016, cette activiste a été assassinée à son domicile. Ses sept meurtriers ont été condamnés, mais le commanditaire était resté impuni. Le 5 juillet 2021, la Cour suprême du Honduras a déclaré Roberto David Castillo, président de l’entreprise hydroélectrique Desarrollos Energéticos SA (DESA), coupable d’avoir ordonné l’assassinat de Berta Cáceres. L’ex-dirigeant de DESA, diplômé en 2004 de l’académie militaire étasunienne de West Point, a aussi été officier de renseignement des forces armées honduriennes. La sentence ne ressuscitera pas Berta Cáceres, mais elle pourrait dissuader d’attaques similaires et sauver des vies.

Colonie de fait

Longtemps, le Honduras est resté de fait une colonie des États-Unis, auxquels il a fourni des bananes, du café et des minerais produits par une main-d’œuvre bon marché. Il était aussi une base opérationnelle de l’armée étatsunienne et de la CIA, depuis le renversement en 1954 du président démocratiquement élu du Guatemala Jacobo Arbenz jusqu’à l’appui aux contre-révolutionnaires nicaraguayens, dans les années 1980, quand les États-Unis voulaient renverser le gouvernement sandiniste du Nicaragua.

Après avoir gagné les élections en 2006, l’ex-président Manuel Zelaya a impulsé des politiques populaires et progressistes, comme l’augmentation du salaire minimum, avant d’être renversé, le 28 juin 2009, par un coup d’État. Depuis, le Honduras a été gouverné par des présidents de droite, corrompus, appuyés par les États-Unis. 

Le pays a néanmoins vu croître un mouvement de résistance populaire, dirigé par les travailleurs·euses et les communautés indigènes. Berta Cáceres a ainsi co-fondé le Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (COPINH) en 1993. En 2006, la dirigeante indigène a commencé à organiser la résistance contre le projet hydroélectrique du barrage Agua Zarca. Cette mobilisation a entraîné le retrait de l’entreprise Sinohydro, le plus grand constructeur mondial de barrage et principal associé de DESA. En récompense pour la lutte qu’elle avait dirigée, Berta Cáceres a reçu le prestigieux prix de l’environnement Goldman en 2015. Moins d’un an plus tard, elle était assassinée. Après l’assassinat de la militante, les associés financiers internationaux de DESA se sont retirés du projet.

« Berta Cáceres a critiqué à maintes reprises les actions de Hillary Clinton et du gouvernement Obama », a déclaré à Democracy Now ! Suyapa Portillo, professeure hondurienne associée à l’Université de Pitzer (Claremont, California). « Elle disait que le Honduras est un laboratoire pour les projets des États-Unis dans d’autres pays, pas seulement en Amérique latine ». Alors secrétaire d’État des Etats-Unis, Hillary Clinton a ainsi appuyé le renversement de Zelaya, sans l’appeler publiquement un coup d’État. À la même époque, Joe Biden (alors vice-président) a rencontré en 2012 le premier président putschiste Porfirio Lobo et a réaffirmé « le lien long et étroit » entre les deux pays. Lors de ce voyage, Biden était accompagné par son conseiller Tony Blinken, aujourd’hui secrétaire d’État des États-Unis.

Longue liste d’assassinats

Dans son récent rapport annuel sur les attaques contre les défenseurs·euses de la terre et de l’eau, Global Witness (groupe de défense de l’environnement et des droits humains) a relevé qu’en 2019 ce sont au moins 212 activistes qui ont été assassiné·e·s à l’échelle mondiale. Ce rapport conclut aussi que l’intensification de la crise du changement climatique s’accompagnera de davantage d’attaques contre les défenseurs·euses de l’environnement. Dans la liste des pays comptant la plus grande quantité d’activistes assassiné·e·s, le Honduras occupe la 5e place.

Le coût pour défendre la vie ne devrait pas être la mort. Lorsque s’intensifie l’urgence climatique, nous avons le devoir de protéger les défenseurs·euses de l’eau et de la terre qui sont, comme Berta Cáceres, en première ligne de la lutte.

Amy Goodman  animatrice de Democracy Now !, journal international émis quotidiennement sur plus de 800 émissions de radio et de télévision en anglais et plus de 450 en castillan.
Adaptation : Hans-Peter Renk