LE DANGER HOMONATIONALISTE

Instrumentalisation raciste des mouvements LGBTQIA+

Les discours homonationalistes sont utilisés tant par les États impérialistes pour justifier leur néocolonialisme et leurs interventions militaires, que par les mouvements d’extrême droite pour appuyer une posture xénophobe et stigmatiser certaines communautés.

Un groupe pose lors de la Pride israélienne 2021
Le personnel de l’ambassade des États-Unis lors de la Pride 2021 de Tel Aviv

La création d’une section gay à l’UDC, Marine le Pen déclarant qu’on ne va pas donner de leçons à la Hongrie tout en affirmant qu’on ne s’occupe pas assez de l’homophobie dans les banlieues françaises ou encore l’appel par une organisation d’extrême droite à une marche des fiertés faisant le tour des quartiers à majorité musulmane de Stockholm sont autant d’exemples de récupération par l’extrême droite des enjeux LGBTQIA+. Comment expliquer cette soudaine défense des intérêts des minorités sexuelles alors que la LGBTQIA+-phobie est partie prenante de leur idéologie, voire l’une de leurs bases conceptuelles ?

Le concept d’homonationalisme, développé par la théoricienne queer étasunienne Jasbir Puar en 2007, peut aider à y voir plus clair. Celui-ci explique l’instrumentalisation de la défense des minorités sexuelles à des fins racistes et xénophobes.

L’homonationalisme

« L’homonationalisme désigne l’inclusion de l’homosexualité dans le discours national produit notamment par les États-Unis dans leur guerre contre le terrorisme, proclamant la supériorité sur les autres d’une civilisation qui aurait aboli toute oppression sexuelle — alors même que les homosexuel·le·s de ce pays continuent de souffrir de discriminations et d’une oppression directement liées à leur sexualité. Opposant les identités gay et musulmane du même coup, ce discours fait de l’homosexualité une réalité blanche. » Ce discours d’opposition et de création du sentiment d’exceptionnalité sexuelle (national et blanc) n’est pas réservé aux responsables militaires États-uniens. En effet, comme montré ci-dessus, ce type de discours émerge de plus en plus au sein de l’extrême droite européenne. Le pink washing d’Israël en est un autre exemple frappant. En effet, dans sa volonté de se présenter comme un îlot lumineux au sein d’un monde arabe menaçant et obscurantiste, le gouvernement sioniste, qui, nous le rappelons, n’est pas non plus l’Eden espéré pour les personnes LGBTQIA+, s’achète à peu de frais une légitimité pour sa politique coloniale inhumaine.

L’exceptionnalisme sexuel

L’exceptionnalisme indique l’affirmation à la fois d’une distinction (le fait d’être différent des autres civilisations) et d’une excellence (une suprématie, une supériorité sur les autres). Les récits exceptionnalistes produits par les États-Unis et d’autres pays du Nord global pour justifier leur « guerre contre le terrorisme » demandent une suspension momentanée de l’hétéronormativité de la communauté nationale imaginaire. Cette suspension a pour but de renforcer le consensus et le sentiment national d’appartenance par l’intégration dans le corps national de certains sujets homosexuels.

Cela ne concerne évidemment pas tous·tes les homosexuel·le·s, ni même la majorité d’entre eux, en effet, c’est l’homosexuel cisgenre, blanc, aisé et principalement masculin, qui ne s’éloigne pas trop des codes hétéronormatifs qui est intégré dans le discours et l’imaginaire nationaux. Le fantasme de la pérennité de cette suspension participe à la production de l’exceptionnalisme. L’étude des circuits nationalistes homosexuels permet de s’apercevoir que les sujets homosexuels ne sont pas forcément en opposition automatique ou exclus des formations nationalistes hétérosexuelles : au contraire, une certaine complicité est présente. L’association « Network », pour la défense des intérêts des dirigeants gays, en est un exemple.
En effet, les conquêtes en terme d’égalité des droits civiques et les discours homonationalistes ne mettent pas en danger l’hétéronormativité et, par extension, le système patriarcal et capitaliste. Ce n’est qu’un élargissement des idéaux et des constructions hétéronormatives vers les personnes homosexuelles (homonormativité). Ces conquêtes ne sont pas une remise en question ni une dénonciation d’une société hétéronormative, patriarcale et capitaliste, car elles ne proposent pas d’autre modèle. L’exceptionnalisme sexuel œuvre aussi en dissimulant le contrôle qu’il exerce sur les frontières des formations de genre, de race et de classe acceptables.

Notre rôle

En tant que queer anticapitalistes et antiracistes, il est nécessaire de s’opposer de manière frontale à toutes les récupérations de nos luttes à des fins racistes. Il est essentiel de garder à l’esprit que si, pour l’instant et sous certaines conditions, nous sommes plus ou moins toléré·e·s dans la société hétéronormative, cette acceptation est très volatile et n’existe que par l’exclusion d’autres altérités racisées et sexuelles. La lutte pour l’obtention d’une véritable société queer libérée de l’hétéronormativité doit être le moteur de notre engagement, la conquête des droits civiques ne suffit pas.

Jordan Gaignat