PROTECTION DE L'ENFANCE
Moins de places d’accueil dans les foyers, une économie à quel prix ?
« La place d’un enfant est dans sa famille » : c’est le slogan scandé par le Conseil d’État neuchâtelois qui, depuis 2017, mène de front une réforme de son dispositif de Soutien et de Protection de l’Enfance et de la Jeunesse (SPEJ). Des voix s’élèvent pour critiquer des économies faites au détriment des enfants en souffrance.
«À Neuchâtel, il y a trop d’enfants dans les foyers ! » C’est ce qu’affirmait l’ex-conseillère d’État socialiste Monika Maire-Hefti, qui s’appuie sur les statistiques pour le démontrer.
Pour y remédier, le Canton s’est attelé en 2017 à réformer la politique de protection de l’enfance et de la jeunesse. 64 places d’accueil en institution d’éducation spécialisée (foyer) devront être supprimées. L’augmentation du nombre de familles d’accueil et un nouveau programme d’aides ambulatoires devraient remplacer ces prestations.
Le mot d’ordre clamé : « La place d’un enfant est dans sa famille. » Si cette notion louable suit les prescriptions de la Convention des droits de l’enfant, la manière et les moyens mis en œuvre sont discutables.
Afin de faire accepter sa réforme, le Conseil d’État touche à la sensibilité des citoyen·ne·s en rappelant les heures sombres de l’histoire de la protection de l’enfant des années 1940 à 1990. Des milliers d’enfants ont été arraché·e·s à leur famille, pour être placé·e·s dans des institutions ayant mauvaise réputation. Dans les années 2010, ces faits ont été largement relayés dans les médias, jusqu’à ce que les victimes obtiennent des excuses officielles de la Confédération en 2013.
Aujourd’hui, la situation n’est plus comparable : les éducateurs·trices travaillant dans les foyers suivent des formations exigeantes dans les Hautes écoles de travail social. Les concepts pédagogiques des institutions se sont développés et répondent aux standards de Quality for children élaborés par l’Union européenne.
Motivations économiques
Rappelons que le but du gouvernement neuchâtelois – certes avoué – est d’économiser 3 millions de francs. Dès lors, on se questionne des conséquences d’une telle injonction quand il s’agit de protéger des enfants victimes de négligences ou de maltraitances.
En effet, les alternatives proposées aux placements en foyer – les familles d’accueil et les mesures ambulatoires – ne devraient pas lésiner sur les moyens pour que le Canton remplisse sa mission de protection.
Chaque famille d’accueil devrait être recrutée selon un processus basé sur des critères précis, pour bénéficier de formations et coaching intensifs. Ces mesures sont le minimum pour assurer aux enfants des conditions d’accueil optimales, d’autant plus qu’ils subissent souvent des parcours chaotiques. Rappelons que les professionnel·le·s qui prennent en charge les enfants dans les foyers sont formé·e·s durant trois ans après une admission sur dossier.
L’accompagnement ambulatoire des familles exige une mobilisation plus importante des intervenant·e·s en protection de l’enfant. Les équipes, déjà surchargées, devraient être renforcées avec la création de postes de travail supplémentaires.
Si l’État veut se donner les moyens, il devrait renoncer à sa priorité, qui est de faire des économies.
Comparaisons contestables
L’usage des statistiques pour justifier ce changement de paradigme a tendance à omettre le contexte socio-économique de la région. Si on veut se comparer avec les autres cantons, faisons-le à tous les niveaux. Les chiffres révèlent une population précarisée dans les montagnes neuchâteloises, avec un taux de chômage parmi les plus élevés de Suisse (5,2 %) et le plus grand nombre de bénéficiaires de l’aide sociale (11,4 %).
Les intervenant·e·s en protection de l’enfant qui proposent un placement ne le font pas sans avoir de réelles inquiétudes. Pour rappel, cette mesure est considérée comme l’ultima ratio. Si elle ne répond pas à une demande de la famille elle-même, le juge devra la valider en se basant sur les critères du droit.
Aujourd’hui, 38 places ont été supprimées et plus de 30 personnes licenciées. Un audit de la réforme relève la nécessité de ralentir la cadence de la réduction du nombre de place en institution, au vu du peu de familles d’accueil recrutées.
Cette politique prétend pouvoir optimiser un domaine aussi sensible que celui de la protection de l’enfant, sans se soucier des compétences professionnelles spécifiques requises pour assurer cette mission, compétences qui devraient être valorisées plutôt que remerciées.
Avec le remplacement de Mme Monika Maire-Hefti, socialiste, par Mme Crystel Graf, conseillère d’État PLR, le pire est encore peut-être à venir.
Kouma Khan