Squid Game

Le frisson du capital

Meilleur démarrage de la plateforme Netflix, la série sud-coréenne Squid Game suscite de nombreux débats. Comment regarder cette série qui rejoue l’oppression de classe sur un air de jeux d’enfants sanglants ? Attention divulgâchage.

Image de la série Squid Game
Les participant·e·s découvrent la tirelire

On pourrait énumérer les explications pour comprendre le succès étonnant de Squid Game : la diffusion plus large des cultures asiatiques – l’énorme succès de la K-Pop par exemple –, l’actualité des thématiques subversives ou la double stratégie d’arrosage intensif et de viralité appliquée par Netflix. Mais pourquoi cette série plutôt qu’une autre ?

Paroxysme de concurrence

On remarque vite des similitudes avec La Casa de Papel. Mais si les deux séries mettent en scène des êtres marginalisé·e·s, les personnages de la série espagnole sont presque héroïques, contrairement à Squid Game, où ils·elles apparaissent au premier abord comme anti-héro·ïne·s antipathiques, détruit·e·s socialement et financièrement.

Gi-Eun est un ouvrier de l’automobile licencié à la suite d’une grève, choqué par l’action de la police – inspiré de la grève historique à SsangYong Motors. Traumatisé, il ne trouve pas de solution pour payer des soins à sa mère mourante et apparaître digne à sa fille.

Sae-Byeok est réfugiée de Corée du Nord. Elle cherche à réunir sa famille au sud avec l’aide d’un passeur qui l’arnaque. Comme beaucoup de réfugié·e·s nord-coréen·ne·s, elle est victime de racisme et de discriminations, ce qui la pousse d’ailleurs à dissimuler son accent.

Joo-Ryung est présentée comme une folle séductrice. Elle incarne les stratégies que les femmes sont contraintes de mettre en œuvre pour survivre dans l’ordre patriarcal imposé par un siècle de colonisation et de dictature militaire. L’immigré d’origine pakistanaise
Ali est sans-papiers, situation que son patron exploite pour ne pas le payer. Son personnage rappelle la dureté des lois de l’immigration en Corée du Sud – même si la série le réduit au rôle du « gentil immigré un peu naïf ».

Enfin, le banquier ruiné Sang-Woo, que l’argent va rendre fou, est rongé par la honte et cache sa situation à sa mère. Le tabou, de l’échec notamment, est un élément qui structure beaucoup les relations familiales en Corée et que la série s’attache à restituer.

Revenons au scénario de Ojing-eo Ge-im (« jeu du calamar »). Les personnages reçoivent une proposition curieuse : participer à un jeu secret, une série de jeux de cour d’école (comme 1, 2, 3 soleil), mais où les perdant·e·s sont froidement abattu·e·s ou meurent violemment. Pas de règles compliquées. Deux issues : la vie ou la mort. Au bout de l’horreur, un énorme magot pour le·la dernier·ère survivant·e, dont le montant est fonction de la somme des mort·e·s, recueilli dans une tirelire géante suspendue au plafond.

Mais paradoxalement, aucun des personnages ne désire devenir riche. Leurs objectifs ont tous une valeur sociale et symbolique plutôt que financière, toujours liée à la famille, qui reste un refuge social et économique face aux inégalités croissantes en Corée du Sud. Mais ceux-là sont inatteignables dans le système ultralibéral. Ils·elles ont perdu au jeu du capitalisme, vont-ils·elles gagner à son reboot métaphorique qu’est Squid Game ?

Le jeu est à la fois une lutte à mort de tou·te·s contre tou·te·s et un concours dont les règles sont dès le départ truquées. L’égalité de traitement y est proclamée, dans un déni évident de l’inégalité des chances.

Pantins de l’impérialisme

Mais qui tire les ficelles ? Dans l’épisode 7, intitulé VIP, des hommes âgés et riches arrivent sur l’île dans laquelle se déroule le jeu. Ils sont là pour assister au spectacle et misent de fortes sommes sur les joueurs·euses. S’ils gardent leurs masques dorés, leur accent informe sur leur origine : l’un est probablement japonais, les autres occidentaux, principalement étasuniens. C’est une référence claire à l’histoire du pays, marquée par les impérialismes japonais et étasuniens, du capitalisme importé et instauré au forceps.

Durant le 20e siècle, la population coréenne a vécu sous la colonisation japonaise puis sous la dictature militaire instaurée par les États-Unis. Le fait que la Corée du Sud ait été privée de souveraineté alimente le sentiment de la population d’avoir été les pantins de grandes puissances mondiales. Une clé de lecture supplémentaire à la série.

Dans le dernier épisode, on apprend que le jeu a été inventé par un vieillard ayant fait fortune comme prêteur sur gages, dans le but de retrouver la joie que l’argent ne pouvait lui apporter. À la fin de la série, il meurt seul, sans voir qu’il a perdu son dernier pari, toujours persuadé que l’humain n’est qu’un·e agent·e économique dénué·e d’empathie.

Le créateur de Squid Game démontre ainsi ce qu’il pense de l’accumulation capitaliste. S’il permet à celle de Netflix de tourner à plein régime, on peut espérer que quelques métaphores restent dans le cœur des millions de spectateurs·trices. Toutes et tous en survet’ à la prochaine manif !

Thomas Joo-Young Feron

Des hiérarchies intraduisibles

Dans la langue coréenne, une grande importance est accordée au degré de formalité/politesse selon le statut social, le genre et l’âge de des interlocuteurs·trices. Pour simplifier, il y a trois niveaux: familier < formel < respectueux. Selon le registre du language, les terminaisons de plusieurs mots et verbes et le ton changent. En une phrase, on peut reconnaître si la personne qui parle considère son interlocuteur·trice comme son aîné·e, son·sa supérieur·e, quelqu’un qu’il·elle considère comme plus important que lui·elle, ou au contraire comme son adversaire, subalterne, enfant etc. Traditionnellement, une épouse s’adresse avec un degré de formalité plus élevé à son mari que lorsque le mari s’adresse à son épouse.

Tout au long de la série, notamment dans les premiers épisodes lors desquels les personnages se rencontrent, le ton des conversations informent sur la façon dont ils·elles se considèrent vis-à-vis des autres et vis-à-vis du monde.

La Nord-coréenne Sae-byeok s’adresse de manière très formelle tout du long, comme il est de coutume dans son pays natal. Elle est traitée de «rouge» et de «communiste» par des gens à qui elle n’a pas pourtant pas dit d’où elle venait et les hommes qui ne sont pas de son équipe lui parlent souvent en langage familier, ce qui est très impoli selon les standards de langue coréen (comme une provocation).

L’ouvrier Gi-eun a beaucoup d’admiration pour son copain d’école primnaire Sang-Woo qui est allé au gymnase et à l’une des trois meilleures universités du pays avec qui il maintient un registre de langue formel, voir respectueux, tout en le considérant comme son grand-frère. Quand Sang-woo lui avoue qu’il est endetté, Gi-Eun n’arrive pas à la croire tellement c’est inconcevable qu’une personne diplômé de cette université puisse être dans une impasse financière.

Lors des vignettes qui évoquent la vie des personnages de la série, la majorité des inconnus leurs adressent la parole utilisent un registre de langue très familier, ce qui revient à les considérer comme des vaurien·ne·s.